12. Démon

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Le jour se lève. Il a l'air de faire beau, mais au loin, de gros nuages noirs se préparent à gronder et à faire briller le ciel toute la journée. Alors que Sebastian s'apprête à me laisser pour aller réveiller Rosalie, je l'arrête :

- Je m'en occupe. Toi, va préparer le petit-déjeuner. 

- Yes, My lord.

En pénétrant dans la chambre de ma petite soeur, je m'attends à la voir dormir comme un bébé, mais elle est au contraire bien éveillée, fixant le plafond d'un air absent. Je viens m'assoir en tailleur face à elle, comme quand nous étions gamins et que je venais la voir en pleine nuit pour faire tout et n'importe quoi. 

- Tu es prête ?

- J'ai l'air de l'être ? Je suis morte de peur. Imagine si tout rate et que je ne m'en sors pas.

- Sebastian sera là pour te protéger. Tu sais bien qu'il ne peut rien t'arriver du tout tant qu'il est là.

- On a peut-être sous-estimé notre adversaire...

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

Elle ne me répond pas. Je soupire et entrelace mes doigts dans les siens. La raison pour laquelle j'ai plus de facilités à me confier à Rosalie, à passer du temps avec elle et à avoir de la tendresse en sa présence, c'est parce que, contrairement à Lizzy, à Frances ou à qui que ce soit d'autre, elle a vécu ce que j'ai aussi vécu. Nous avons survécu tous les deux dans le même enfer. Elle sait ce que cela fait d'être souillé, d'être utilisé comme un objet, de se sentir sale et d'avoir l'impression que son corps ne lui appartient plus. Nous avons regardé la Mort en face, nous lui avons fait un pied-de-nez ensemble. Et malgré tout, elle est toujours là avec moi. Je n'aime vraiment pas comparer Rosalie et Lizzy, car elles n'ont aucune compétitivité à avoir, mais je veux juste que les gens comprennent pourquoi je suis si distant avec Elizabeth et pas avec ma soeur. Au-delà de notre apparence, nous sommes quasiment la même personne. Nous savons presque exactement ce que l'autre ressent en permanence. Nous sommes en osmose, unis par une harmonie fraternelle presque parfaite. Bref, nous sommes des jumeaux. 

Je rejoins Cleo dans le salon. Affalée dans un fauteuil, elle observe la pluie s'abattre sur les jardins d'un air pensif. Je m'assois face à elle et pose sur la table le jeu d'échecs que j'ai rapporté.

- Vous savez jouer ? je lui demande.

- Evidemment que je sais jouer. J'ai déjà gagné pas mal de compétitions.

- J'ai hâte de savoir ce que vous valez alors. 

Nous commençons à jouer. Le silence concentré est bercé par l'orage dehors, qui est étrangement très apaisant. 

- Chrysalisme, déclare doucement une voix.

Cleo et moi sursautons et regardons Rosalie, épaulée à l'encadrement de la porte, les bras croisés, qui nous regarde intensément. Elle porte de nouveau le pull de notre père, qui atteint ses genoux. Elle porte un simple collant en-dessous et de grosses chaussettes. Rien que de la regarder m'apaise. 

- Qu'est-ce que tu as dit ? je l'interroge.

- Chrysalisme, répète-t-elle. C'est le sentiment de bien-être qu'on ressent lorsqu'on est confortablement à l'intérieur pendant un orage. 

Je l'invite à se joindre à nous. Elle s'asseoit dans le canapé et ramène ses jambes contre sa poitrine. Elle demande gentiment à Sebastian de lui faire un chocolat viennois bien chaud, et pendant que notre majordome effectue sa tâche, Cleo nous dit plus sérieusement :

- Je pense qu'il y a un problème avec notre tueur.

C'est à mon tour de jouer. Heureusement, je suis largement capable d'écouter et de réfléchir à mon coup en même temps.

- Comment ça un problème ? je demande. 

- Admettons que l'assassin soit organisé, intelligent et calme. Malgré cela, j'ai bien cherché, et aucune arme n'est capable de faire une entaille aussi grosse avec une telle précision. C'est impossible. Ensuite, le confessionnal est un endroit minuscule. Il n'y a pourtant aucune, absolument aucune tâche ou goutte de sang ailleurs. Si les victimes avaient été tuées avec une arme à feu, ce détail aurait fait sens. Mais il était près d'elles. Il était juste à côté. Même avec cette précision, le sang aurait dû glicler, les femmes se seraient débattues et lui auraient jeté du sang dessus. Il n'y a pas de trace de pas ensanglantée ou de petite goutte. Le reste de l'église est niquel. 

- Alors, c'est quoi votre hypothèse ? demande Rosalie. 

Je bouge un pion. C'est au tour de Cleo. Elle reste silencieuse quelques secondes pour se concentrer, puis lorsqu'elle déplace une pièce, elle déclare :

- Que notre tueur n'est pas humain.

Rosalie et moi nous regardons au même moment. Cleo serait-elle au courant de l'existence des Shinigamis, voire même des démons ? Je joue à mon tour, un peu fébrile, et lorsque Sebastian revient avec une énorme tasse fumante croulant sous la chantilly pour Rosalie, la policière déclare simplement :

- En fait, je pense que le tueur est comme Sebastian.

Rosalie manque de renverser son chocolat, notre majordome ouvre des yeux ronds comme des lunes et moi, je m'étrangle tout seul. Cleo nous fixe tour à tour, avant de hausser les épaules :

- Quoi, vous pensiez sincèrement que je ne suis pas fichue de reconnaître un démon quand j'en vois un ? 

- M-Mais... mais enfin, bégaie Rosalie. 

- Il est vraiment pas discret en plus. Il enlève ses gants pour jouer au docteur.

De surprise, je fais un mouvement brusque, et mon fauteuil tombe en arrière. Je m'écrase par terre dans un bruit sourd, alors que j'entends ma soeur s'étouffer avec sa boisson.

- SEBASTIAN ! je crie en me relevant. T-Tu... Tu as osé te débaucher ainsi dans MON manoir ?!

- En fait, c'était dans la calèche, Monsieur. 

Cleo se met à hurler de rire. Rosalie hésite à la rejoindre : je la vois pouffer, les joues écarlates et la main devant la bouche tandis que son corps est secoué par l'hilarité. Mais moi, je ne plaisante pas du tout. Je relève le fauteuil, me rassois et jette les rares pièces d'échecs que j'ai pu voler à Cleo. Elles atterrissent contre le visage de mon crétin de majordome, qui ne bronche pas. Cleo, qui a repris son calme, continue :

- J'ai connu un démon avant Sebastian. C'est pourquoi j'ai reconnu sa véritable nature en très peu de temps. 

- Vous avez connu un démon ? demande Rosalie.

- Oui, je vivais avec un diable quand j'étais plus jeune. C'était aussi notre majordome. 

Je fronce les sourcils. J'ai l'impression que quelque chose me passe sous le nez, mais j'ignore quoi. Une chose m'échappe, j'en suis certain, mais je suis incapable de mettre la main dessus. 

- Qu'est-ce qui vous fais penser que c'est un diable qui a commis ces crimes ? interroge Rosalie.

- La violence de l'acte, la précision... et puis, je ne sais pas, c'est le pressentiment que j'ai. C'est le tien aussi, pas vrai Sebastian ?

L'interpellé hoche la tête. Toute cette histoire devient soudain beaucoup plus glauque et surtout plus compliquée : si le coupable est un démon, Sebastian sera-t-il à la hauteur ? 

Black Butler Fanfic : L'Affaire des Sept Fleurs de LondresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant