Chapitre 13

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Laila Boïkova
24 juin 2019, 20 heure
Appartement de Laila


​Je joue du piano. Je ne peux pas m'arrêter. Les larmes coulent à une vitesse fulgurante et mes doigts se déplacent sans pouvoir se stopper. Mon téléphone sonne. Je m'arrête finalement.
« -Allô ?
-Bonjour ici l'hôpital Alexsandrovna.
-Oui ?
-Vous êtes bien Laila Boïkova, une proche de Svetlana Perova ?
-Oui.
-Je suis navré pour vous.
-...
-Votre amie vient de mourir. » Je raccroche. Mon portable tombe. J'hurle. Un cri qui vient des entrailles du corps. Un cri à en déchirer l'âme. Et mes larmes redoublent.
Florian. Je dois prévenir Florian. Et Kim. J'appelai Kim en premier.
« -Allô Laila ?
-Kim... Viens.
-J'arrive. » Il avait compris. Maintenant je me devais d'appeler Flo. Il décrocha au bout de trois sonneries.
« -Allô, Laila ? ».
« -Flo... Rentre. S'il-te-plaît...
Il s'est passé quoi ??
Je... Svetlana s'est suicidée.
-Je rentre. » Il raccrocha. Je fondis en larme.
Kim arriva quelques minutes après. Je lui ouvris faiblement. Il me prit dans ses bras.
« -Viens là. » Il me caressa le dos délicatement. S'il pleurait, il était silencieux. Je me détachais de lui et voyais des larmes le long de son visage. Il tenta de sourire.
« -Il faut qu'on garde les bons souvenirs.
-Pourquoi a-t-elle fait ça ? Pourquoi elle nous a tous abandonné !!? Pourquoi !! » Et j'hurlai encore plus fort. Kim me reprit dans ses bras. Il m'accompagna jusqu'au canapé.
« -Je croyais qu'elle m'aimait ! Si elle m'aimait pourquoi avoir fait cela ?!
-Elle n'a pas laissé de mots ?
-Dans la chambre.
-Tu veux que j'aille le chercher ?
-Oui. » Kim revint quelques secondes plus tard avec sa lettre. Je n'avais pas eu le courage de l'ouvrir.
« -J'ouvre ?
-Oui.
-Je lis ?
-Oui. » Il ouvrit l'enveloppe et une douce odeur de violette et de rose titilla mes narines. Cela m'apaisa un peu. Kim lisait. Sa voix se brisait à chaque phrase.
« Ma chérie,
Hier je ne t'ai pas tout dit, seulement ce que je pouvais t'avouer en face. Mais dans cette lettre se trouve quelques réponses aux questions que tu te poses. Il y a également mon carnet noir mais je ne pense pas que cela soit une bonne idée que tu le lises tout de suite.
​Hier tu m'as demandé pourquoi je voulais partir et je t'ai répondu que je n'avais plus rien à faire ici. C'est dur à entendre, encore plus à accepter. Je le comprends. Pour moi aussi cela a été difficile. La vie n'est qu'une simple route qui nous mène droit à la mort. Il n'y a pas de virage, pas de montée, pas de descente. Mais aux bords de cette route dans un désert infini il y a des distractions créées par Dieu puis par les Hommes dans le but de nous divertir. Pour qu'on oublie que la mort nous attend, assise sur un rocher. Toutes ces distractions – l'école, le travail, la famille, les loisirs – définissent la « vraie vie ». Et c'est avec Bartolomeo que j'ai compris cela. Que tu me croies ou non, c'est ce que je pense. Et j'en ai marre d'attendre comme un mouton, de passer d'attraction en attraction. D'avoir peur de cette silhouette noire au bout de la route. Et surtout je ne peux plus supporter de voir tous ces gens qui s'extasient en voyant les distractions que la « vraie vie » propose. Derrière le mot « vie » qu'il y a-t-il ? Rien.
​Alors oui il y a les sentiments qui rajoutent un peu de piment. Il y a les idées pour lesquelles on peut se battre. Ces choses qui m'ont tenues en vie quelques années. Maintenant je ne veux plus avoir de sentiment. Vous trois êtes les seules personnes qui m'ont fait croire que je pouvais redevenir normale. Je me suis rendue compte que je ne le voulais pas. Que je voulais rejoindre la faucheuse. Et puis il y a mes idées. Qu'elles soient politiques, sociales ou spirituelles. Ce monde me dégoûte trop, je n'en peux plus de me battre pour quelque chose qui n'arrivera certainement jamais.
​La question que tu es parfaitement légitime de te poser est si je t'aimais réellement. Et bien je ne sais pas. Au final qu'est-ce que c'est l'amour ? C'est aussi abstrait que qu'est-ce que la vie ? J'éprouvais de l'attirance physique et surtout psychique envers toi. Je ressentais quelque chose pour toi. Alors quand je te disais « je t'aime », j'étais sincère. Je te supplie de me croire. Et même si je suis morte je continu à t'aimer et je n'aimerai plus que toi.
​Je préfère mourir avec tous mes souvenirs plutôt que de vivre encore longtemps et de tout oublier. Pour avoir bien observer les « adultes » de cette société malade, j'ai remarqué qu'ils tentaient tous de nous « aider » en nous disant qu'ils étaient passé par là et qu'ils comprenaient. Ils ne comprennent rien. Sinon ils auraient été capable de m'aider, de nous aider. Pour exemple ma sœur. Pendant mon lycée, les peu de fois où j'ai pu sortir, elle me prenait de haut, comme si elle avait tout compris à la vie. Comme si elle avait la science infuse. Soit elle me disait que ça allait passer soit elle se moquait de moi et de mes questions « inutiles ».
​Alors chaque personne est différente mais je ne veux pas prendre le risque de devenir comme ma sœur ou pire. Je ne veux pas voir ce que la longue route a prévue pour moi. « Vous me dégoutez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu'il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu'ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n'est pas trop exigeant. Moi je veux tout, tout de suite – et que ce soit entier – ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d'un petit morceau si j'ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd'hui et que cela soit aussi beau que quand j'étais petite – ou mourir. » Lis Antigone et tu comprendras beaucoup de chose. Il est sur mon bureau.
Nous nous retrouverons un de ces jours de toute façon alors profite de ta vie sur Terre, comme cela tu auras des choses à me raconter quand tu me rejoindras au paradis.
Que Dieu te protège,
Je t'aime si fort Laila,
Svetlana. » Mes larmes s'étaient arrêtées. Je n'en avais plus. Kim reposa la lettre sur la table basse. Il enleva ses lunettes et s'essuya les yeux. Il m'attira vers lui. Le soleil se couchait doucement. C'était une très belle soirée, tiède et agréable. Mais je voyais tout en gris, en flou. Et plongeai dans un sommeil lourd et sans rêve. Quelques heures plus tard, je pense, Florian arriva à l'appartement, qui semblait totalement vide.
« -Salut Flo.
-Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » Il s'assit sur une chaise en face du canapé.
« -Hier Svetlana m'a raconté son histoire, surtout avec Bartolomeo, son ex. Et elle m'a parlé de suicide. Elle m'a dit qu'elle n'avait plus rien à faire sur Terre. J'ai eu un appel de l'hôpital. Elle a sauté d'un pont et est morte. » Silence. Florian ne réagit pas, il restait figé. Après quelques minutes Kim proposa d'aller à l'hôpital. Nous partîmes donc tous vers le bus. Kim me serrait toujours dans ses bras et Florian ne bougeait presque pas. Comme s'il était un robot.
A l'hôpital, on attendit. Longtemps. Ce n'est qu'aux alentours de quatre heure qu'un infirmier vint nous voir.
« -Vous êtes les proches de Svetlana Victorovna ?
-Oui ?
-Voulez-vous la voir ?
-Oui. » Nous nous levâmes avec difficulté et suivîmes l'infirmier vers la morgue.
Il y avait deux corps allongés, recouvert d'un drap blanc. Le premier corps était un jeune homme que je pensais connaître. Il avait les cheveux blancs ternes. C'était le garçon que j'avais croisé dans la rue. Kim serra les poings avant d'exploser :
« -Mais quel connard ! Quel enfoiré ! Le bâtard ! » Je crus qu'il allait le tuer s'il n'était pas déjà mort. C'était donc Bartolomeo.
Je me dirigeai vers Svetlana.
« -Sve... Svetlana... » Et je fondis en larmes. La porte claqua, je me retournai. Un homme ressemblant à Bartolomeo était entré, essoufflé. Lorsqu'il vit Kim, son regard changea.
« -Kim.
-Mikhaïl.
-Tu fais quoi là ?
-Ton frère a tué Svetlana !
-Tu n'as aucune preuve et je te signale qu'il est mort aussi !
-Comme c'est bizarre ! Il est mort noyé, à la même heure que Svetlana un putain de vingt-quatre juin avant ses vingt ans ! Tu vas me dire que c'est une coïncidence ?!
-Calmez-vous messieurs, vous êtes dans une morgue. » Kim et Mikhaïl s'engueulèrent une bonne dizaine de minutes.
Florian m'avait rejoint auprès de Svetlana. Je la regardais, son corps plutôt. Il était recouvert de centaines de cicatrices blanches, plus ou moins large. Elle avait la peau sur les os et très pâle, un fantôme. La danse avait sculpté ses jambes, ses pieds et ses bras. Même morte elle dégageait de la grâce. Oui s'était vraiment devenu un fantôme.

​Nous étions le vingt-sept juillet et ces dernières semaines ont été les plus difficiles de toute ma vie. Aujourd'hui nous devions aller disperser les cendres de mon amour. Je n'arrivais pas à croire qu'elle était morte. J'avais refusé de voir ne serait que Florian ou Kim. Ils me rappelaient une époque maintenant finie. Mais aujourd'hui nous allions nous revoir. D'ailleurs la sonnette retentit. Je me levai donc du canapé, dans la pénombre.
« -Laila. Tu tiens le coup ? » Derrière moi des cadavres de bouteilles de vodka et de bières jonchaient le sol et l'appartement – plongé dans l'obscurité – puait la cigarette.
« -On tient comme on peut. Et vous ?
-C'est difficile.
-On y va ?
-Oui. » Je pris mon sac avec les cendres de Svetlana dedans.
« -Je peux le porter si tu veux ? » Me proposa Kim.
« -Non, c'est comme si je l'avais à côté de moi.
-Je comprend. » Florian ouvrit sa voiture. Je m'installais derrière. Sur les avant-bras de Kim on pouvait voir des piqûres et j'imaginais très bien le torse de Florian.
« -On... On devrait rester ensemble pour se soutenir ?
-Oui. Oui si je reste seule je vais devenir folle. » Puis silence jusqu'à la fin.

​Nous étions en pleine campagne. Perdus au milieu de nulle part. Personne ne pourra nous déranger. Nous montâmes une colline. En haut il y avait un petit tas de pierres. Nous nous y stoppâmes. On posa les sacs loin de nous. Je pris l'urne et la posai par terre. Tous les trois nous renversions les cendres sur la terre. Elles formaient une petite pyramide. Je m'agenouillais devant les cendres qui commençaient tout juste à partir au vent. Florian et Kim étaient derrière, enlacés.
Le soleil se couchait à l'ouest et, fidèle à elle-même, elle partit vers la lune...


Une douleur fulgurante me prend. Ce n'était que mon imagination. Et pourtant j'ai atrocement mal.
Je viens de tuer un de mes personnages alors qu'ils m'ont permis de me comprendre. Ils ont incarné mon histoire. Ils étaient moi.
Mes personnages ont pris possession de mon esprit et je me suis tuée...

1821 mots
Et voilà c'est fini ! Un tome 2 est en écriture mais je le posterai pas tout de suite x)
J'espère que l'histoire vous aura plut ^^ Merci d'ailleurs de m'avoir soutenue pour écrire tout ce putain de truc incroyable ❤️❤️

De gros bisous

Roze

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