CHAPITRE 2 - EMILY

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Emily

Après avoir ouvert les baies vitrées du rez-de-chaussée pour aérer la maison, je m'apprête enfin à monter à l'étage. Revoir ma chambre et mes posters accrochés au mur va irrémédiablement me replonger dans mes années lycée. Tandis que j'accède à la première marche, la porte d'entrée s'ouvre dans un vacarme abracadabrant. Un panier de provisions à la main, Nana apparaît tout sourire et parée de son mémorable chapeau de paille à volants bleu lavande.

Nom d'un chien, n'apprendra-t-elle donc jamais à frapper à la porte comme tout le monde ?

— Bonjour, ma chère enfant ! s'exclame-t-elle d'une voix théâtrale. Seigneur, comme je suis heureuse de te revoir ! Viens faire un gros câlin à ta Nana !

Folle de joie, ma grand-tante abandonne son panier en osier sur le sol et m'enlace dans ses bras, me berçant de gauche à droite. L'entendre me dire combien je lui ai manqué me comble de bonheur et m'émeut. Nana a toujours été un pilier dans ma vie, une personne sur qui je peux compter. Nous sommes très complices toutes les deux. D'ailleurs, malgré son âge, elle est venue me visiter à de nombreuses reprises dans mon petit appartement new-yorkais. J'adore la voir débarquer tel un boulet de canon lancé en plein Atlantique, amenant avec elle un vent de fraîcheur et de folie, ce qui n'est pas pour déplaire à Pablo qui part en fanfare en la voyant arriver.

Sa maison se situe à une centaine de mètres d'ici. Un endroit aussi coloré et insolite que ma chère Nana. Sa proximité du cottage m'a très souvent épargné d'assister à une nouvelle altercation entre mes parents. Je me réfugiais souvent là-bas. Mon père la tenait en très haute estime. Après tout, elle était la seule famille qu'il lui restait. Ce dernier disait toujours que c'était de loin sa tante préférée ! Dois-je ajouter qu'il n'avait qu'une tante ? J'ignore si ses propos étaient à prendre sur le ton de l'humour ou bien de l'ironie. Cela étant, mon père se confiait beaucoup à elle...

Nana prend mon visage entre ses mains ridées et dépose un baiser sur mon front, les yeux embués par nos retrouvailles. Je lui souris avec tendresse, touchée par son affection. Revenir sur l'île n'était sans doute pas une si mauvaise idée. J'ai le cœur gros comme une pomme de terre, prêt à éclater à tout moment. J'éprouve tant d'émotions contradictoires depuis mon retour, comme si les liens qui m'emprisonnaient se déliaient petit à petit autour de moi.

— Bon retour à la maison, ma petite chérie, me souhaite-t-elle, bouleversée. Je regrette seulement que cela ne soit pas arrivé plus tôt.

Je baisse légèrement les yeux pour masquer ma gêne.

— Notre relation était on ne peut plus compliquée...

— Oui, je le sais, compatit-elle. Hélas, tes réponses se trouvent à présent dans une petite boîte en bois. Boîte que tu refuses obstinément d'ouvrir depuis près de cinq ans.

J'attrape ses mains dans les miennes pour m'en libérer puis m'éloigne de quelques pas, acculée par le passé qui m'emprisonne. Nana penche la tête sur le côté en m'étudiant avec empathie, témoin depuis toujours de mon mal-être. À quoi devais-je m'attendre en remettant les pieds au cottage ?

Que tous mes problèmes disparaîtraient par magie ?

Que les questions qui me hantent s'envoleraient avec la brise tiède de l'été naissant ?

Finalement, et je l'aurais compris bien à mes dépens, peu importe où nous nous trouvons, avec qui nous vivons et comment nous évoluons, les blessures du passé ne guérissent jamais sans un profond travail sur soi. Certains se noient dans l'alcool, la drogue ou bien s'intoxiquent aux médicaments. Ce ne sont que des pansements éphémères et destructeurs, ils restent sans effet sur les maux de l'enfance. Il n'y a qu'un seul et unique remède efficace pour en venir à bout : les affronter et les exorciser. Seulement, je me sens encore si fragile, et ce, malgré le long parcours que j'ai emprunté avec Marlène, ma psychothérapeute. Un travail que je devais impérativement garder pour moi et lui cacher. Seuls ma tante et Pablo le savent.

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