CHAPITRE 7 - NICHOLAS

36 3 0
                                    

- 7 -

Nicholas

J'emprunte la route qui conduit au restaurant, le cœur gagné par l'inquiétude. Depuis mon départ de chez Peter, la pluie a laissé place à un soleil radieux dont les reflets dorés ondulent sur l'étendue bleutée. Malgré le temps agréable, je ne peux m'ôter de la tête que ma mère me cache quelque chose.

L'établissement de mes parents se trouve en bord de plage, un bien qui leur est revenu après la mort de mon grand-père paternel. L'endroit est réputé pour sa convivialité et son accueil chaleureux. Mon père avait à peine quarante ans quand le sien succomba d'une crise cardiaque. Une tragédie pour notre famille et pour toute une communauté. On dit que l'âme du grand Boris Shelton vit toujours entre les murs de son établissement tel un capitaine veillant sur son navire : Le Shelton Break.

Je n'étais qu'un adolescent quand il nous a quittés, mais je garde de merveilleux souvenirs de nos parties de pêche et de nos soirées au coin du feu. J'adorais l'entendre nous conter les folles aventures et péripéties de sa jeunesse. Je lui enviais cette fougue et cette insouciance qu'il avait réussi à conserver malgré l'âge de la raison et de la sagesse. Il combinait le tout avec une ingéniosité et une intelligence qui le rendait aussi enrichissant qu'un livre de bibliothèque. Il avait la parole facile, le don de vous mettre à l'aise comme si vous le connaissiez depuis toujours. Il était l'ami et le confident de chaque habitant, toujours à l'écoute et prêt à vous tendre la main. Sa générosité et sa forte personnalité ont fait du Shelton Break un lieu incontournable et familial. Un lieu unique appartenant à tous.

Le restaurant est implanté sur un des décors les plus privilégiés de l'île, entre l'océan et le phare de Brant Point. À la nuit tombée, le spectacle est d'autant plus saisissant. La douce lumière du phare inonde la baie, bercée par le ressac s'étalant sur le rivage. Un paysage digne d'un catalogue d'agence de voyages. Je viens très souvent m'isoler au pied du brasero que mon père et moi avons construit sur la plage, à quelques pas du Shelton. J'aime admirer les vagues laper la grève, les voir se retirer pour revenir de nouveau cueillir et abandonner quelques coquillages.

Une fois sur place, je verrouille le pick-up et glisse les mains dans mes poches avant d'emprunter la passerelle en bois. Elle mène directement à la terrasse panoramique et aux grandes baies vitrées qui contournent et abritent le Shelton Break, offrant à ses clients une vue imprenable sur l'Atlantique.

Entourées de banquettes et de coussins en toile blanche, plusieurs tables carrées fabriquées dans un bois précieux sont disposées à l'extérieur, protégées par de larges parasols bleus bondi. Cette couleur si chère au cœur de mon grand-père, hommage à cette plage australienne où il y fit la rencontre de sa douce Céleste. Je n'ai pas eu la chance de connaître ma grand-mère, elle s'est éteinte quelques mois avant ma naissance. On y retrouve un peu partout le blason familial des Shelton, celui de l'ancre marine entourée d'un cordage d'amarrage.

Je salue Mme Wilson et son époux, des clients de longue date. Ils me gratifient d'un geste amical, et je leur souhaite un excellent appétit avant d'entrer dans le restaurant.

Le mobilier et la décoration sont similaires à ceux de l'extérieur, avec ses tables et ses banquettes chaleureuses et confortables. Un comptoir en bois blanchi habille et rythme le fond de l'établissement, centre névralgique du Shelton Break. Trois de nos serveurs s'affairent derrière le bar pour lancer les différentes commandes. D'autres attendent les entrées près du passe-plat, communiquant avec la cuisine. Comme chaque dimanche, le restaurant se remplit d'habitués et de touristes fraîchement débarqués pour la période estivale.

À droite du comptoir, je repère mes parents à la table réservée pour la direction et l'équipe. Un endroit plus intime et loin du brouhaha du service en salle. Nous nous y asseyons régulièrement pour déjeuner ou échanger avec le personnel, autour d'un verre ou d'une savoureuse pâtisserie. Une tradition à laquelle mon grand-père tenait particulièrement à faire respecter et que nous honorons depuis sa disparition.

THE REASONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant