Chapitre 3 / Présent

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Belle French pose violemment l'énorme encyclopédie sur son bureau.

Elle souffle bruyamment. Puis elle fait les cents pas dans la bibliothèque municipale en essayant de trouver une solution à son problème.

Dix minutes plus tard, elle s'arrête. Si elle a bien appris une chose tout au long de sa vie, c'est qu'une personne fatiguée et en colère n'arrivera à rien.

Elle décide de fermer plus tôt la bibliothèque pour aller faire un tour et prendre l'air.

Belle enfile son manteau et passe son écharpe autour de son coup. Ces jours-ci, il fait de plus en plus froid dans le Maine.

Elle s'apprête à sortir quand soudain, elle l'aperçoit à travers la vitre. Surprise, elle regarde sa montre. Il n'est pourtant que 16h45. D'habitude, il rentre chez lui vers 18h...

Quand elle relève la tête, le shérif Graham Humbert marche avec détermination en remontant la rue principale.

Mais où se dirige-t-il ?

Sa question se perd dans sa tête quand ses yeux se posent sur sa veste en cuir. Elle lui va comme d'habitude à merveille et souligne sa carrure. Pour couronner le tout, son étoile de shérif brille à intervalle régulier au rythme de sa marche.

Belle ne peut tout simplement pas détacher son regard de l'homme qui vient régulièrement hanter ses nuits...

Soudain, lui vient une envie irrésistible d'aller à sa rencontre.

Mais qu'est-ce qu'elle pourrait bien lui dire ? Que tous les jours elle rentre plus tard du travail pour le voir passer devant la bibliothèque ? Qu'elle l'épie sans cesse à longueur de journée ? Qu'elle sait avec exactitude quel petit déjeuner il vient commander tous les jours chez Granny ? Qu'elle rêve de lui chaque soir ? Qu'elle espère désespérément qu'il s'intéresse un tant soit peu à elle ?

Pourtant, avant même de s'en rendre compte, Belle se retrouve dehors et marche vers le shérif.

Son esprit à beau lui ordonner de faire demi tour, son coeur n'en fait qu'à sa tête.
La citation de Blaise Pascal qui lui vient en tête : "Le coeur a ses raisons que la raison ne connait point." semble bien adapté à la situation.

En un clin d'œil, Belle se plante face à lui. Le shérif s'arrête, étonné.

- Belle ?

Belle est tétanisée.

Mais qu'est-ce que je fais ??? Se demande-elle mentalement.

Devant son air effrayé, Graham lui demande :

- Tout va bien ?

Le cerveau de Belle va à mille à l'heure.

Il vient de me parler. Je dois lui répondre. Quelque chose de normal. De simple. De naturel. Oui voilà, quelque chose de naturel. Mon dieu j'attends ce moment depuis toujours ! C'est bien à moi qu'il vient de parler ? Non ? Il me regarde bizarrement... Je dois lui répondre quelque chose ! Attends, qu'est-ce qu'il a dit déjà ?

- Je... Excusez-moi je n'ai pas entendu ce que vous venez de dire.

Graham la regarde fixement. La bibliothécaire a l'air stressée et vraiment préoccupée. Son visage gracieux s'empourpre légèrement et elle baisse les yeux. Pour dissiper son malaise, Graham prend un air apaisant.

- Je vous demandais juste si vous alliez bien.

- Oh...

Belle le regarde à nouveau dans les yeux. Dans son regard, elle décèle toute la gentillesse du monde. Son coeur fond comme neige au soleil.

- Oui... Oui, je vais bien. Je vous remercie.

Un sourire timide s'affiche lentement sur son visage d'ange. Le shérif n'avait jamais remarqué à quel point le bleu immense de ses yeux éclairait son visage parfait. En fait, il n'avait jamais remarqué à quel point elle était belle -sans mauvais jeu de mot-.

À son tour, il lui sourit, et ils restent là, à se regarder, à se regarder vraiment,  pour la première fois.

Cet instant si parfait prend brusquement fin quand le téléphone de Belle se met à sonner.
Elle regarde l'écran. Le visage de Gaston apparaît. Elle soupire.

- Excusez moi, dit-elle au shérif en s'éloignant de quelques pas.

Elle décroche et porte son téléphone à l'oreille.

- Allô ?

- Belle !

La voix grave de Gaston la fait sursauter.

- Gaston ! Ça va ?

- Tu ne devineras jamais qui Sam a appelé pour l'accompagner à la grande partie de chasse ce week-end ?

Belle lève les yeux au ciel.

- Moi !!! Il a enfin compris que je suis incontestablement le meilleur chasseur des environs... Combien de temps il lui a fallu ? Six mois ? Quel imbécile...

- C'est génial Gaston... dit Belle en essayant de cacher l'ennui que le sujet lui inspire.

- Cette chasse va être gardoise ! Je vais gagner le premier prix pour toi, ma biche.

Les yeux de Belle s'arrondissent. Elle qui s'apprêtait à le reprendre une nouvelle fois en lui disant qu'elle déteste qu'il la compare à l'une de ces pauvres bêtes qu'il s'amuse à tuer, elle ne pipe mot. C'est bien la première fois que Gaston détourne de son plein gré une conversation sur la chasse pour parler d'elle !

- Écoute Gaston, j'ai... J'ai encore pas mal de livres à classer à la bibliothèque. Je vais te laisser.

- Tu passes beaucoup trop de temps dans ces bouquins... Si tu continues, tu vas finir écrasée sous une pile de livres ! Ha ha ha !

Belle écarte le téléphone de son oreille. Gaston rit à gorge déployée de sa propre blague. Sa voix lui est de plus en plus insupportable.

- Bon Gaston, je vais raccrocher.

- Bon Belle, il faut que je raccroche, renchérit Gaston qui semble ne pas l'avoir écouté. À ce soir ma biche.

Belle n'a pas le temps de le reprendre, il a déjà raccroché.

Elle soupire. Dans deux heures elle a rendez vous avec Gaston chez Granny pour dîner... Encore une soirée interminable sur la chasse.

Belle range son téléphone et se retourne en disant :

- Excusez moi, je devais répondre. Est-ce que vous...

Quand elle relève la tête, elle ne voit que la rue, déserte.

Elle reste là, seule, se demandant si sa conversation avec le shérif était bien réelle.

Belham🌹🐺Où les histoires vivent. Découvrez maintenant