15.

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Kei lut deux livres en quelques jours.

Il trouva un rythme, un rythme qui lui changea des cours et qui lui offrit une cassure avec celui qu'il avait avant, qui fit comprendre à son corps qu'il n'avait plus besoin d'être stressé et que son ventre pouvait enfin arrêter de lui faire mal sans raison. Il se réveillait un peu plus tard, restait dans son lit quelques minutes ou heures de plus, et en contrepartie pouvait passer le reste de sa soirée sur son balcon.

Il acheta une chaise : une petite chaise pliable avec un dossier, de celles qu'on trouve dans les magasins de sport, au rayon camping. Il la ramena facilement à son appartement, prit le bus avec son casque sur les oreilles, et la monta sur son balcon. Le soir même, il put s'asseoir dedans, un livre sur les genoux.

Quatre jours plus tard, Kei avait donc terminé deux livres. Il n'en avait plus qu'un sur la petite étagère qui contenait déjà tous ses manuels de cours, mais comptait bien se rendre à la bibliothèque le plus proche le lendemain afin de se renseigner sur les horaires et les tarifs : faire quelques emprunts serait sûrement plus avantageux qu'acheter trois livres par semaine (de plus, sa chambre chez ses parents ne pouvait pas vraiment en accueillir davantage).

Kei avait appelé ses parents dans la journée, puis son frère. Les premiers avaient été ravis de lui offrir tous les détails de leur voyage, tout en lui demandant si lui ne s'ennuyait pas trop. Le second lui répéta au moins six fois qu'il pouvait venir chez lui s'il le voulait, que Saeko serait ravie de l'aider à préparer la chambre du fond et de mettre une assiette de plus à table. Kei refusa gentiment, car il n'était pas encore prêt à quitter cette pause bienvenue qui lui permettait de revenir peu à peu sur terre : aller se promener, regarder des séries, profiter sur silence, vivre à son rythme. S'imposer du monde, de la compagnie, du bruit, et une obligation d'être plus ou moins poli.

Oui, il n'était pas prêt.

Soupirant, il s'installa dans sa chaise en ouvrant son troisième ouvrage (de la littérature appréciable, mais rien qui demandait au moins trois relectures pour comprendre 1/3 du sens). Certains de ses amis avaient été surpris de le voir lire ce que certains appelaient des romans de gare alors même qu'il faisait des études et que donc il devait lire des choses compliquées et intellectuelles tout le temps. La tête aussi pleine et le nez dans les bouquins toute l'année, il n'avait même pas eu l'envie de leur expliquer et avait simplement répondu qu'il lisait ce qu'il voulait.

Kei en profita pour respirer l'air chaud et épais de la nuit avant de se perdre dans les premières pages. C'était toujours le plus compliqué : oublier le roman précédent et s'ouvrir à une nouvelle lecture, un nouveau monde. S'attacher, essayer de rentrer dans l'histoire.

Il y parvint en à peine vingt minutes, et entendit à peine la baie vitrée d'à côté s'ouvrir et se refermer. La voix de Kuroo, elle, fut plus compliquée à louper. Il crut pendant quelques secondes que c'était à lui qu'il s'adressa, mais compris bien vite que ce n'était pas le cas.

— Ouais, nan j'ai pas trop envie de sortir en ce moment.

Kei essaya de ne pas écouter. Pour la raison évidente que ça ne l'intéressait pas, évidemment.

— Si, si. Ça va. Ça va même très bien, c'est juste que je ne m'ennuie plus autant.

Son sourcil se haussa de lui-même. « Je ne m'ennuie plus autant » ? N'était-ce pas lui qui venait le faire chier bien trop souvent en utilisant le prétexte qu'il ne savait pas quoi faire pour s'occuper ?

— Quoi ? Non bien sûr que non. Bo', tu me connais quand même. Ouais, j'entends Akaashi dans le fond. Surveille-le, okay ? J'ai pas envie de me réveiller et de le voir au-dessus de mon lit avec un couteau.

Dans le fond, Kei avait toujours apprécié Akaashi Keiji. Même si ses goûts romantiques étaient discutables.

— Bien sûr que non je fais pas ça pour m'amuser. Tu penses que je me donnerais tout ce mal si c'était juste comme ça ?

Kei se mordit la langue. Cela faisait presque dix mois qu'ils étaient voisins : Kuroo ne comprenait-il pas que des gens pouvaient entendre tout ce qu'il racontait ? Il était bien placé pour savoir que Tsukishima se trouvait souvent sur son balcon, surtout en ce moment. Il ne voulait même pas essayer de savoir de quoi il pouvait bien parler.

Ce terrain était glissant.

— Ça avance ? Mmh, je suis pas sûr. Signaux contradictoires, tu vois ? Parfois je pense que....

Il y eut un silence, et Kei regarda droit devant lui. Il put apercevoir le toit des immeubles en face, mais pas la route.

— Ouais, voilà. Je veux pas tout gâcher. La drague à deux balles, ça a pas trop l'air de fonctionner. Par contre les gâteaux...

Merde. Non. Pendant un instant, il pensa à simplement se lever et rentrer. Il s'imagina le faire, imagina le silence qui suivait le bruit de sa chaise, le claquement de sa fenêtre.

Il ne bougea pas.

— Bien sûr, Bo'. Mais comment je rattrape une boulette comme ça ? Tu sais, t'avais raison. Mais comment j'aurais pu savoir ? Je pensais... enfin, tu l'as vu ? Je pensais sérieusement que c'était lui qui aurait... rien voulu, tu vois. Du coup j'y pensais même pas. Bon, bref. T'as compris. Ouais pour les... quoi ? Non, attends. Non, j'ai de quoi noter. Ouais, une seconde. Aux amandes ? J'espère qu'il est pas allergique. Merci, Akaashi. Pas besoin des menaces, tu peux te contenter de la recette...

Kei entendit la porte vitrée, puis une voix étouffée. Il resta là, immobile, pendant encore un instant. Son livre sur les genoux, des voitures passant en contre-bas. Le silence soudain le surprit presque, mais finalement il trouva le courage de simplement se lever, et rentrer.

Il essaya de toutes ses forces d'oublier ce qu'il venait d'entendre.

Et échoua totalement.

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Des bisous !

Neighbors || KurooTsukiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant