dix.

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Plus je regardais Carson, plus j'avais du mal à comprendre cette fille aux grands yeux bleus qu'elle cherchait à cacher derrière un épais nuage de fard à paupières noirs et de crayon en tout genre. Dans ses cheveux, il n'y avait plus quelques touches de bleu mais toutes ses pointes avaient été colorés, lui donnant un côté sauvage qui avait le don d'agacer sa mère mais qui personnellement, me passionnait. Maura disait juste à son sujet : Elle ne ressemblait en rien aux autres filles Daniels mais je crois qu'elle ne ressemblait à personne d'autres que Carson Daniels, cette fille qui ne parlait pas mais qui en disait long avec le regard glacial qu'elle me faisait depuis que j'étais rentré chez elle. Elle me détestait, c'était officiel, mais j'ignorais pourquoi. Rose m'avait dit que c'était Carson, qu'elle agissait ainsi avec tout le monde mais je savais que sa haine était personnelle. Elle détestait peut-être le monde entier mais le nom Harry Styles figurait tout en haut de sa liste.
Carson passa tout l'après-midi à dessiner sur le calepin qu'elle semblait ne jamais quitter. Lorsque son père l'obligea à se mettre à table avec nous, elle glissa le cahier sous ses fesses et toucha à peine à son plat. Elle fit exprès de mélanger tous les aliments pour ne pas que l'on remarque son manque d'appétit mais moi, je le vis, entre deux plaisanteries pour Jamie. A vrai dire, je ne pus réellement quitter Carson des yeux durant tout ce temps. De midi, l'heure à laquelle j'arrivai jusqu'à dix-huit heures, quand je dus quitter les lieux. Jamie aurait voulu que je passe la nuit à la maison mais j'avais encore des tas de cours à réviser pour mes rattrapages et puis, je sentais assez le regard plein de haine de Carson sur moi. Avant de partir, j'ai cru qu'elle allait venir me voir, ne serait-ce que pour m'insulter ou me cracher au visage. Cela semblait être une attitude digne de Carson mais non, elle ne fit rien. Elle reporta ses cuisses jusqu'à son visage et continua de dessiner, toujours avec plus de concentration et d'intensité. C'en était fascinant. J'aurais pu passer des heures, assise en face d'elle, à la regarder détruire son calepin de dessins. Etait-ce des dessins, d'ailleurs ? Ou simplement sa haine qu'elle crachait sur son carnet ?
 
- Je t'avais dit de pas revenir.
 
Je venais de franchir le quartier voisin lorsque je reconnus la voix de Carson. Je me tournai et la vis devant moi, toujours vêtue de sa salopette et de ses chaussettes multicolores. Elle ne portait pas de chaussures aussi, je me demandai comment elle avait fait pour me rejoindre sans se couper le pied. Elle ne semblait pas s'en préoccuper. Ses yeux étaient figés sur moi et je voyais les traces qu'avaient laissé ses crayons sur son front et ses joues, sans doute quand elle avait voulu se recoiffer. Aujourd'hui, elle arborait un chignon qui avait dû être impeccable avant qu'elle ne se déchaîne passionnément sur son carnet. Ses joues étaient roses, sans doute d'avoir trop couru et à cet instant, alors que le souffle lui manquait et que je ne comprenais pas son acharnement à ce que je quitte sa vie, elle me fit penser à Maura. Elle avait la même détermination qu'elle, même si j'aurais préféré qu'elle la mette dans des oeuvres humanitaires, comme sa soeur, plutôt qu'elle la déverse sur moi.
 
- Ils souffrent déjà assez, ils ont pas besoin de toi pour ça, me souffla-t-elle, pleine de haine.
 
C'est donc pour ça qu'elle m'en voulait ? Elle avait peur que je fasse souffrir ses parents et sa soeur ? Je fronçai les sourcils, je ne comprenais pas. Cela me dépassait. 
 
- Je ne veux pas les faire souffrir, bredouillai-je, troublé.
- Alors, arrête de venir. C'est pas en te pointant chez nous qu'ils iront mieux.
- Et c'est pas en restant dans ton coin qu'ils t'aimeront.
 
C'était la première fois que je me montrais vraiment méchant avec quelqu'un et je me giflai intérieurement à la seconde même où je prononçai ces mots. Carson reçut ma remarque en plein coeur. Ses yeux se remplirent de larmes et elle s'éloigna en courant avant même que je ne puisse m'excuser. Je la croyais si forte, avec ses crayons dans ses cheveux et son regard rempli d'animosité mais elle restait la petite soeur de Maura, elle aussi, et elle pouvait être blessée par le jugement dont pouvait faire preuve les gens. Dont je pouvais faire preuve lorsque je devenais con et que j'oubliais mes principes. Je n'avais jamais été comme ça jusqu'à présent. Les rares fois où j'avais blessé quelqu'un, je m'étais immédiatement excusé et j'avais fait des pieds et des mains pour me faire pardonner mais cette fois, avec Carson, c'était différent. Elle m'avait cherché. Malgré tout, je ne pouvais m'empêcher de culpabiliser. Sa soeur était morte, elle devait vivre dans cette maison qu'elle n'avait que peu côtoyé ces dernières années et supporter la présence de l'ex petit-ami de sa soeur morte, ça pouvait justifier son mépris mais moi, rien ne m'excusait. J'avais juste été un crétin. Encore. Et plutôt que de lui courir après, j'ai fait demi-tour et je me suis remis en marche jusqu'à chez moi. Ce n'est qu'à la dernière minute que je décidai d'envoyer rapidement un message à ma mère pour la prévenir que je rentrerais tard. J'avais besoin de voir Niall soudainement.
 
Plus tard, lorsque Niall fût endormi à côté de moi, je pris le soin de photographier son visage endormi afin de le garder dans mon portable, si jamais il tentait de faire quelque chose de compromettant contre moi. Je m'apprêtai à éteindre l'appareil lorsque le visage rayonnant de Maura apparut à l'écran et me rappela pourquoi je me trouvais chez Niall plutôt que chez moi. Par honte, sûrement. Je n'aurais pas pu croiser le regard bienveillant de ma mère alors qu'un peu plus tôt dans la soirée, j'avais osé m'en prendre à Carson de la pire des manières. Ce n'était pas de sa faute si elle avait été absente depuis si longtemps de cette maison et que maintenant, elle semblait étrangère à la sa propre famille. J'étais bien placé pour le savoir. Ce manque d'appartenance, je l'avais ressenti pendant des années - pour ne pas dire toute ma vie. Seule la présence de Maura m'avait aidé à me sentir utile et à présent, je recommençais à suivre le courant des vagues sans trouver un point d'encrage, comme le prouvait l'un de mes dessins sur mon bras. Et alors que le sommeil m'enveloppait, je me promis de tout faire pour me faire pardonner auprès de Carson. Parce qu'au final, on était pareil, elle et moi.

In slow motion.Where stories live. Discover now