vingt-deux.

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Je pensais que la vie ne pouvait plus m'annoncer de mauvaises nouvelles, qu'après avoir traversé autant de merdes ces dernières années, j'avais atteint mon quota de malheur pour l'éternité mais je compris que j'avais tort lorsque j'arrivai devant chez les Daniels, Carson à mes côtés. On était heureux, nous. On connaissait les faiblesses de l'autre et quelque part, on essayait de réparer le cœur de l'autre en les appréhendant. Je savais que Carson me cachait encore un bon nombre de choses mais aujourd'hui, je m'en fichais. Il faisait beau et quelques minutes auparavant, on reprenait les chœurs d'une chanson de Panic ! at the disco en riait aux éclats.

Mais soudain, en arrivant chez elle, tout était devenu noir. Il n'y avait plus d'oiseaux chantant l'automne, plus de journée radieuse et de soleil qui luisait dans le ciel. Comme si tous ces éléments disparaissaient peu à peu du paysage. J'ai vu les sirènes des pompiers devant la maison, j'ai vu les secours s'activer, des données qui venaient à mes oreilles malgré les sirènes hurlantes et les voisins attroupés autour de la maison des Daniels. J'ai vu le chaos naître devant moi et j'étais incapable de bouger, tout comme Carson. Le visage des urgentistes étaient durs, mais livides. Ils ne semblaient pas avoir à faire à ce genre de cas souvent. Et quel genre de cas ?

Je repris peu à peu mes esprits et décidai de repousser la main d'un policier pour entrer dans la bâtisse. J'étouffais ici. Mes vêtements me collaient à la peau et je sentais des perles de sueur glissées le long de mon dos. J'avais si peur et pourtant, j'étais incapable de le ressentir. Comme lorsque j'avais perdu Maura, je savais ce qu'il m'attendait au bout du couloir mais je ne voulais pas y croire. Je ne pouvais pas. Mais lorsque le médecin se recula, je la vis. Jamie, couverte de sang, les yeux clos et le teint si livide que je crus voir sa sœur aînée dans les derniers moments de sa vie.

Je portai une main à ma bouche et je sentis mon estomac se retourner. J'allais vomir et pourtant, rien ne sorti. Ni le contenu de mon estomac, ni ce cri d'effroi qui était bloqué dans ma gorge. Je continuais de regarder Jamie et je sentais les larmes noyer mes yeux. Elle paraissait encore plus jeune sur le sol de la salle de bains avec sa peau immaculée et cet air paisible qui peignait ses traits. On aurait dit une œuvre d'art, un tableau d'une poupée qu'aurait pu peindre Carson ou un grand artiste. Je voyais sa poitrine se soulever –bien que difficilement- et c'était là mon seul réconfort. Sa bouche qui semblait entrouverte et cet air qui arrivait encore à aller dans ses poumons.

Ils ont fini par l'emmener. Ils devaient bien être dix autour d'elle et personne ne connaissait l'histoire de Jamie. Je les entendais déjà parler entre eux, chercher les raisons pour lesquelles les gens tentaient de se suicider mais aucun d'eux n'avait pas réponse. C'était courant, ce genre de choses. J'y pensais, moi aussi, parfois. Quand Maura me manquait, je regardais avidement chaque objet tranchant et parfois même, je prenais plus d'aspirine que je devrais juste pour défier la mort. Je ne risquais pas grand-chose en soit, juste un sommeil lourd et une migraine à mon réveil, mais j'aimais marcher sur la ligne, j'aimais ne pas savoir de quel côté j'allais basculer mais surtout, j'aimais me dire que pendant ces quelques heures, je me rapprochais un peu plus de Maura. Et alors que je regardais le brancard s'en aller, je me demandais si Jamie avait pensé à ça quand elle avait entaillé ses veines.

La police parlait avec Andrew, au loin, près de la chambre de Jamie, et moi, j'étais assis à même le sol de la salle de bains. J'avais pris appuie sur la cuvette des toilettes et je regardais le sang qui flottait toujours dans la baignoire, se mélangeant avec l'eau du bain. Jamie avait prémédité son geste. Elle avait enfilé une jolie robe, celle que Maura avait mise lors de notre douzième rencard. Je n'avais jamais fait attention à ce genre de détails mais cette robe avait quelque chose de spécial. Elle ressemblait à une rose dont les pétales étaient en train de faner. Maura l'adorait cette robe, et moi aussi. Elle représentait un peu tout ce que Maura était. Jamie ne pouvait pas l'avoir choisi au hasard. Sur le sol, près de la baignoire, je voyais le cutter qui avait servi Jamie de se trancher les veines et j'eus un haut-le-cœur en voyant qu'il était tâché de sang. De son propre sang. Je n'avais jamais été très à l'aise avec ça mais aujourd'hui, c'était pire. Pourtant, j'étais incapable de sortir d'ici. Les policiers avaient bien essayé de m'éloigner en me disant qu'ils devaient enquêter mais mes jambes avaient été incapables de me porter hors de cette pièce et l'un des ambulanciers avaient fini par dire que j'étais en état de choc. Alors, on me laissait rester ici, la porte grande ouverte sur le couloir où je voyais Andrew effondré. Il avait perdu Maura, était séparé de sa femme et maintenant, sa plus jeune fille avait essayé de mettre fin à ses jours. Et quand je pensais qu'il n'y avait rien de pire que la mort d'un enfant, je compris que j'avais eu tort. Le pire était d'assister à sa descente aux Enfers sans être capable de l'en sortir.

In slow motion.Where stories live. Discover now