treize.

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154ème jour.

Les cheveux de Carson avaient viré au vert. Aussi, elle me lança un regard assassin quand je lui fis remarquer. Elle n'était pas d'humeur aujourd'hui ; elle n'était jamais d'humeur. Ni avec moi, ni avec personne. Cependant, j'avais eu le droit à un "bonjour" lorsque je m'étais pointé chez elle en début d'après-midi, pensant y trouver Jamie et ses parents mais personne n'était à la maison à l'exception de Carson. Elle s'était déplacé sur la droite afin de me laisser entrer mais depuis près d'une heure, elle ne me parlait pas. J'avais bien tenté une vanne sur la couleur de ses cheveux mais là encore, je m'étais retrouvé face à son mur de silence et son regard glacial qu'elle me lançait constamment.
 
- Je devrais rentrer chez moi, je lançai.
 
Je guettai sa réaction, m'attendant à un soupir de sa part, à une grimace ou encore, un geste de la main pour me faire rester. Rien ne se produit. Carson releva la tête de son calepin et se contenta de hocher la tête. Je me levai du canapé, mon regard toujours posé sur elle, alors que déjà, le sien avait quitté mon corps pour retrouver son croquis. J'essayai de regarder quel dessin méritait toute son attention mais Carson était replie sur elle-même de sorte à ce que l'on ne puisse pas voir les pages griffonnés de son carnet. Je fus déçu mais ne pipai pas un mot. A la place, je lâchai un soupir et me rendis jusque dans le hall. Au dernier moment, plutôt que de quitter la maison des Daniels, bredouille, je décidai de monter à l'étage. Je passai par la chambre de Jamie, toujours aussi rose et décorée à l'aide de posters de ses stars préférés. Un boysband à la mode pour la plupart alors que dans le fond, j'apercevais l'affiche du concert de Violetta auquel elle avait assisté la semaine dernière. Son premier concert. C'était Maura qui avait payé les places pour toute la famille mais c'était moi qui avait fini par me rendre à l'événement avec sa famille. Jamie était tellement contente de la voir sur scène reprendre ses chansons en espagnol. Elle connaissait la plupart d'entres elles, ce qui m'avait bluffé. J'étais vraiment nul en espagnol et je me sentis plus bête encore face à Jamie qui pouvait reprendre les chansons en choeur avec la chanteuse.
Je pris le temps de griffonner un mot sur un post-it trouvé sur le bureau de Jamie, à côté de son journal intime. Je savais qu'elle serait triste de ne pas avoir pu me voir aujourd'hui mais que ce petit message ne pourrait que lui faire du bien. Un après-midi et un dîner passé avec moi. Un "rencard", comme je l'avais écrit sur le mot. Rose accepterait forcément et Andrew plaisanterait certainement sur le fait que Jamie était trop jeune pour moi. Décidément, Niall disait vrai quand il me parlait de mon pouvoir de séduction sur les filles Daniels, bien que sa théorie ne s'applique pas sur Carson.
Je lançai un regard derrière moi pour m'assurer que cette dernière n'était pas sur mes pas et je retrouvai le couloir de l'étage. Je ne prêtai pas attention à la porte ouverte de Rose et Andrew, ni à celle verrouillée de Carson. Mon regard se posa sur celle désormais close de Maura. Ma mémoire commençait déjà à me jouer des tours et certains détails de la pièce devinrent inconnus pour moi. Les murs de la chambre étaient-ils aussi foncés que dans mes souvenirs ? Son bureau était-il placé à droite ou à gauche ? Et son lit, comment était-il déjà ? On avait passé la plupart de notre temps dessus, à s'embrasser, à faire l'amour ou tout simplement, à parler, mais je n'arrivais plus à m'en souvenir. Tout comme la couleur de ses draps avant sa mort. Je le savais. Quelque part dans ma tête, je connaissais la réponse mais à force de trop penser à Maura, une migraine s'empara de mon crâne et j'eus le tournis. Je me sentais si mal, nauséeux. J'avais soudainement envie de pleurer mais je me retenus en entendant quelqu'un s'éclaircir la gorge derrière moi.
Je sursautai et fis volte-face. Mon coeur s'apaisa en découvrant le visage de Carson et l'air intrigué qui se lisait sur ses traits. Je m'attendais à l'entendre rire car je pleurais à moitié devant la porte de Maura mais Carson resta silencieuse. Elle aussi, elle devait se remémorer le visage de sa soeur.
 
- Rentre, elle me dit en se plaçant à ma droite, tout près de moi.
- Je peux pas.
 
Je réussis à peine à articuler. J'avais les poumons en feu et le coeur en miettes. Cette pièce refermait bien trop de souvenirs pour que je puisse m'y aventurer seul. J'entendis Carson soupirer à mes côtés et avancer ses doigts tremblants jusqu'à la porte mais elle non plus, elle ne réussit pas à tourner la poignée pour entrer. Elle fit un pas de plus, se rapprochant de la porte sans pour autant réussir à prendre son courage à deux mains. C'était trop douloureux, pour elle comme pour moi. Je voyais son corps trembler devant moi et je me demandais ce qui pouvait bien traverser son esprit à cet instant. Le temps semblait s'être figé et Carson et moi partagions la même douleur, ce même manque de Maura qui nous était invivable. C'était la première fois que je la voyais aussi faible et je compris pourquoi elle ne s'était pas moqué de moi plus tôt. On était pareils.
 
- Ca fait trop mal, elle brisa le silence et s'éloigna de la porte.
 
Lorsqu'elle se tourna, je vis les larmes inondant ses joues. Je voulus lui dire de rester, de me parler, de me dire tout ce qu'elle gardait en elle et qui était en train de la détruire mais Carson repoussa le bras que je tendais en sa direction pour se rendre jusqu'à sa chambre. Je ne cherchai pas à la rattraper lorsque j'entendis sa porte claquer et quelques secondes plus tard, l'un de ses sanglots rompre à nouveau le silence.
J'avançai, incertain, vers la porte de sa chambre et je me laissai glisser le long du mur. Elle pleurait toujours autant, je le devinais, mais je restai plusieurs heures dans le couloir, à attendre qu'elle se calme. Je retenus plusieurs fois ma respiration, croyant entendre des bruits de pas dans sa chambre alors que dans le fond, je savais qu'elle n'avait pas la force de marcher. Je dus m'endormir un instant car lorsque j'ouvris les yeux, le jour était tombé, laissant place à la nuit. Une voiture avait klaxonné dans la rue. Pourtant, ce ne fût pas le bruit de la voiture qui me tira des bras de Morphée mais une voix, un murmure, tout près de mon oreille. Je crus reconnaître la voix de Maura. Je regardai aux alentours, la cherchant désespérément du regard en sachant pourtant que ça ne pouvait pas être elle. Et lorsque la voix m'appela à nouveau, je compris que ce bruit provenait de la chambre de Carson. C'était elle qui m'appelait. Doucement. D'une voix tremblante. Dans un murmure qui fût vite emporté par le silence.
 
- Je suis là, je chuchotai à mon tour.
 
Je collai mon front contre la porte en bois, la seule frontière entre nos coeurs. Je respirais bruyamment, peinant à reprendre mon souffle alors que j'entendais le sien être saccadé. Nous étions restés un bon moment chacun de notre côté à essayer de se ressaisir mais finalement, nous ne pouvions nous relever qu'ensemble.
 
- Je ne pars pas, je repris, haletant.
 
Le silence se prolongea encore un peu mais cette fois, j'étais serein. Ca me faisait du bien de savoir que je n'étais pas seul, que quelque part dans ce monde, quelqu'un ressentait le même vide que moi depuis que Maura était morte. Il y avait bien Rose et Andrew mais c'était différent. Eux, ils avaient perdu un enfant, une partie d'eux, le ciment de leur famille. Moi, j'avais perdu celle que j'aimais.
J'entendais toujours le souffle saccadé de Carson et je me demandai si un jour, elle avait déjà pleuré la disparition de sa soeur. Elle n'était pas venue à l'hôpital la voir. Elle n'avait pas même quitté son école pour revoir sa soeur malade. Carson avait continué de vivre alors que Maura était en train de mourir. Même quand elle a été plongée dans le coma, Carson ne s'est pas déplacée. Je ne la vis pas non plus à son enterrement, à la messe célébrée en son honneur, à la cérémonie d'adieu au sein de son association. Carson était nulle part. C'était peut-être pour cette raison que Rose lui en voulait autant d'être passive. Parce que même lorsque Maura était sur le point de disparaître, Carson n'était pas là. Jamie a été la seule soeur dévouée qui a traversé toutes ces épreuves alors qu'elle aurait dû être préservée de ce cauchemar qui n'avait pas de fin. Elle n'avait que huit ans, bientôt neuf. Elle n'aurait pas dû endurer tout ça.
La sonnerie de mon cellulaire retentit. Nouveau message de Niall qui me disait qu'il était arrivé chez moi et que je n'y étais pas. J'hésitai un instant. Je ne pouvais pas laisser Carson dans cet état mais je pouvais encore moins faire faux bond à ma famille. Ce dîner, c'était ma mère qui l'avait organisé. Chaque samedi, on mangeait tous ensemble pour ne pas que je reste dans ma chambre à pleurer la perte de Maura, ni que je reste chez les Daniels jusqu'à point d'heure.
 
- Tu vas t'en aller, pas vrai ? Me demanda Carson à travers la porte.
 
Ca me faisait tellement mal de la laisser. Je me suis relevé, grimaçant lorsque mes os craquèrent. J'avais mal de partout, aux jambes surtout. Et puis, au coeur. J'ai tenté de respirer mais j'avais l'impression de me noyer dans les larmes que j'avais retenu trop longtemps à l'intérieur. J'ai frappé doucement contre la porte de Carson et j'ai entendu le loquet. Doucement, j'ai entrouvert la porte et je l'ai trouvé assise au milieu de sa chambre. Sur le coup, j'avais même pas fait attention à la décoration de la pièce, ni relevé le fait que je pénétrais dans son intimité. Je ne voyais qu'elle, ses genoux recroquevillés sur sa poitrine. Elle ne pleurait plus mais sur ses joues, les larmes n'avaient pas encore eu le temps de sécher. Je la trouvai belle avec son maquillage qui avait coulé sous ses yeux et qu'elle avait balayé à l'aide de son bras. Je voyais du noir de partout sur celui-ci et ça me rappelait son carnet de dessins qu'elle ne montrait à personne.
Je m'avançai péniblement jusqu'à elle, les jambes encore douloureuses. J'étais resté trop longtemps assis, plongé dans une sorte de dimension de laquelle je refusais de sortir. J'étais dans ma bulle de tristesse, enfermé dans un monde où Maura n'existait plus, et c'était tellement dur d'appuyer sur "play" alors que pendant presque un an et demi, je n'avais vécu que pour cette fille aux longs cheveux blonds qui luttait pour la sauvegarde de la planète.
 
- Va-t-en, Harry...
 
Carson me faisait désormais penser à un oiseau minuscule qu'on avait jeté du nid. Comme celui que j'avais trouvé quand j'étais petit. Je marchais dans le jardin de mes grands-parents et je l'avais trouvé là, par terre, dans la poussière. Il m'avait fait peur, à battre des ailes sans parvenir à voler, ni même se relever. J'ai voulu le prendre entre mes mains mais j'étais effrayé. J'avais été trouvé ma grand-mère et elle m'avait dit que ça arrivait parfois. Je comprenais pas. Alors, elle m'a dit que lorsqu'un oiseau n'est pas assez bien, il se fait expulser de chez lui, exclure de sa propre famille. Et j'avais trouvé ça tellement triste. Je repensais à mon copain Hugo qui marchait bizarrement et que les autres gamins insultaient en permanence à l'école. Et dans cet oiseau qui essayait de crier, à tenter de battre des ailes dans la poussière, je voyais Carson. Cet oiseau, j'avais fini par le prendre entre mes mains pour l'installer dans mon manteau que j'avais retiré pour lui. Il criait toujours autant, il essayait de se débattre car il savait que je n'étais pas sa mère, mais avec le temps, j'avais réussi à le domestiquer et surtout, à gagner son amour. Je lui avais donné des ver de terre au début pour qu'il reprenne des forces et après, il avait été les chasser lui-même. Au début, il avait peur de se confronter au monde mais après quelques mois, il partait retrouver les siens, en revenant parfois chanter à ma fenêtre. Carson pourrait chanter à nouveau si je réparais ses ailes brisées.
 
- N'approche pas.
 
D'ici, je voyais ses ailes brisées, ses mains parsemées d'ampoules à force de dessiner. C'est à cet instant que je décidai de relever la tête et de prêter attention à ce qui m'entourait. La chambre de Carson. Les murs très épurés, blancs, froids, qu'elle avait décoré avec ses dessins. Elle avait affiché de partout des croquis, des peintures achevées, des dessins qui attendaient d'être terminés. Je n'y connaissais rien à l'art et en toute honnêteté, cela ne m'avait jamais fasciné mais à cet instant, dans la chambre de Carson, je me sentis à ma place. L'art n'avait rien de subjectif avec elle. C'est comme si Carson avait ouvert les portes de son âme et que j'y voyais clair maintenant. Le dessin, c'était toute sa vie. Avec la peinture. Et les marques de fusain encore visibles sur ses mains abîmées.
Elle dut se rendre compte que je regardais sa chambre avec trop d'attention car lorsque je posai à nouveau mon regard sur elle, elle semblait terrorisée, terrifiée à l'idée que je puisse juger ces oeuvres qui la composaient entièrement. Je lui souris doucement et m'approchai d'elle. Je passai mes mains sur son visage, balayant les traces des perles d'eau sur ses joues. Elle essaya de me repousser mais son bras resta en suspens, n'ayant pas la force ni même le courage de repousser la seule personne qui lui prêtait de l'intérêt dans cette maison. Je me plaçai devant elle, la regardant fixement, avant de la prendre doucement dans mes bras.
 
- Arrête... Gémit-elle, la gorge nouée.
 
Je resserrai ma prise autour d'elle et nous restâmes un long moment comme ça, à essayer de reprendre notre souffle alors que nos coeurs essayaient de continuer de battre malgré la douleur et le manque qui s'installe. Finalement, mon cellulaire vibra de nouveau dans la poche de mon jeans et Carson mit fin à notre étreinte. Elle sortit mon cellulaire de ma poche en prenant soin de ne pas me toucher et me le tendit.
 
- Réponds.
 
Je m'apprêtais à refuser lorsqu'elle appuya sur l'écran tactile, me condamnant à parler à ma mère qui m'avait déjà laissé une dizaine de messages depuis mon arrivée chez les Daniels.
 
- Allo ? Soufflai-je.
- Harry ? Oh mon Dieu, tu réponds enfin ! Elle avait poussé un soupir de soulagement qui refléta son inquiétude. Je remarquai enfin qu'il était presque vingt-et-une heures et que je n'avais donné de nouvelles à personne depuis mon arrivée ici. Tout va bien ? Tu veux qu'on vienne te chercher ? Dis-moi où tu es, Robin va venir te chercher et...
- Maman, je la coupai, tout va bien. Je suis désolé, je n'avais pas vu l'heure. Je suis en retard au dîner...
- On s'en fou du dîner, Harry ! J'étais morte d'inquiétude ! Tu es où ? Chez Maura ?
- Oui...
- Harry ! Me réprimanda ma mère. Elle se ressaisit quelques secondes plus tard : Bon, ce n'est pas grave. On en parlera quand tu seras rentré. Tu veux que Robin vienne ou tu rentres en voiture ?
- Je...
 
Je jetai un coup d'oeil à Carson qui ne m'avait pas lâché du regard depuis que j'avais débuté ma conversation avec ma mère. Elle avait le visage triste et le regard vide, comme si plus rien ne lui importait. Hormis sa passion pour l'art, que lui restait-il ?
 
- Est-ce qu'on a de place pour un couvert de plus ? Demandai-je, enfin.
- Un couvert de plus ? Elle semblait surprise mais elle ne me posa pas de questions - pas encore. Oui, bien sûr. Rentrez à la maison, je vais rajouter une assiette et faire réchauffer le boeuf. A tout de suite, Harry.
 
Je raccrochai et en voyant le regard confus de Carson, je ne sus si j'avais pris la bonne décision mais je ne pouvais pas la laisser ici. Pas ce soir, en tout cas. Elle avait passé trop de temps dans sa chambre à se tenir éloignée du reste du monde, il fallait qu'elle commence à vivre maintenant :
 
- Enfile une veste, on va manger chez mes parents, ce soir.

In slow motion.Where stories live. Discover now