dix-neuf.

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C'est comme ça que je me retrouvai assis, le regard posé sur mes mains liées entre elles, dans le cabinet d'un psy. Une, en l'occurrence. Une femme d'une cinquantaine d'années au visage bienveillant et à la voix aussi suave que ma mère, lorsqu'elle s'adressait à moi quand j'étais malade. C'est d'ailleurs elle qui m'avait parlé de cette femme, Nicole Todd, une spécialiste des troubles de l'enfance et de l'adolescence. Je ne comprenais pas vraiment ce que je faisais ici étant donné que j'avais vingt ans et que je n'avais aucune maladie mentale mais ma mère m'avait dit qu'elle lui avait parlé de moi et qu'elle était d'accord pour me prendre en urgence. Ca non plus, je ne l'avais pas compris. Je n'étais pas mourant, au bord du suicide ou ce genre de choses auquel était confronté la psychologue. Moi, j'avais juste le mal de vivre, le blues du coeur brisé, la nostalgie de mon histoire avec Maura. On n'avait pas assez vécu. On s'était aimé le temps le temps d'un battement de cil, le temps de se dire je t'aime et déjà, la vie me l'avait repris. Ou plutôt, la mort. La maladie, la souffrance de ses dernières semaines et finalement, le néant.
 
- On va commencer par se présenter, si tu le veux bien, me lança Nicole après quelques minutes de silence.
 
C'était si reposant d'être ici, de n'être confronté qu'à un silence qui n'était ni lourd, ni empli de sens. J'étais là, assis en face d'une femme que je ne connaissais pas, et pour la première fois depuis longtemps, je ne songeai pas à Maura. Je pensai à ma mère qui se faisait du soucis pour moi et qui s'en voulait d'avoir pris rendez-vous avec une psy, en me prévenant à la dernière minute. Je pensai à Robin qui multipliait nos "journées entre hommes" pour ne pas que je reste seul à la maison, à broyer du noir. Je pensai à Niall, de l'autre côté de ce mur, qui attendait avec impatience que je sorte pour qu'on aille se payer une bière et faire une partie de golf et aussi à Carson, qui ne m'avait plus dit un mot depuis le jour où j'avais écouté l'enregistrement qu'elle m'avait donné. Ca faisait neuf jours et sa présence me manquait plus que j'aurais pu l'imaginer.
 
- On peut commencer par toi mais si tu préfères, je commence.
 
Je levai les yeux vers la psychologue et lui esquissai un sourire désolé. Je n'étais pas très réceptif à ce qu'elle pouvait me dire mais cela ne semblait pas la déranger. On avait une heure à passer ensemble et on avait passé les vingt premières minutes à ne pas se parler. Elle, à me regarder avec attention en attendant que j'ouvre le bouche. Moi, à attendre que mon cerveau se remette en place et que les mots reviennent dans ma bouche. Je dis alors, le coeur compressé :
 
- Je peux commencer. Je laissai passer un moment encore, mon regard de nouveau posé sur mes mains. Je m'appelle Harry et j'ai vingt ans. Voilà. J'ai arrêté mes études de droit au début de l'été donc je ne sais pas trop ce que je peux raconter d'autres...
- Ce que tu aimes, par exemple.
 
Là, je décidai de ne pas y répondre. Je me sentais bloqué tout à coup, comme au début de la séance. Plus de mots, plus de courage, plus d'espoir. J'inspirai profondément en espérant reprendre mais impossible. Je ne savais pas ce que j'étais censé dire à une parfaite inconnue ayant fait des études sur le comportement humain. J'avais toujours été bavard mais pas dans de telles circonstances. A vrai dire, je n'avais jamais vécu de telles circonstances. Ma mère avait voulu que je vois un psy après sa séparation avec mon père mais j'avais toujours refusé. J'avais ma soeur pour m'écouter et Niall pour me changer les idées.
 
- Je vais me présenter alors, dit la psychologue en se redressant sur son siège. Je l'entendis refermer son carnet et poser son stylo capuchonner dessus. Je m'appelle Nicole Todd, j'ai quarante-six ans et je suis psychologue depuis vingt-trois ans maintenant. Je suis même clinicienne mais je ne vais pas t'embêter avec ces termes techniques. Je suis marié et j'ai trois enfants : Nathan, Loan et Justin. Et j'ai un chien depuis trois jours. Rien de très passionnant, en soit, sourit-elle alors que je posai à nouveau mon regard sur elle. J'adore la musique, aussi. Plutôt du jazz mais dernièrement, j'ai découvert un groupe pop-rock vraiment sympa. Et j'aime l'escalade. J'en fais trois fois par semaine, avec mon fils aîné. La plupart du temps, on est en salle mais on adore prendre notre matériel et allait explorer de vrais lieux.
 
J'étais sidéré. J'avais toujours vu les psy comme des gens froids, fermés, cantonnés aux méthodes freudiennes et ce genre de choses mais Nicole était complètement différente, loin des clichés des séries et loin de la fausse idée que j'avais sur son métier. Elle me sourit sincèrement une fois qu'elle eut fini de parler et je tentai de lui rendre. En vain. Mon sourire ressemblait d'avantage à une grimace et je vis un éclair de tristesse traverser ses pupilles lorsqu'elle le remarqua. "Désolé d'être un raté", pensai-je alors que je me demandais encore comment est-ce qu'on pourrait aborder la raison de ma venue ici. Je pensai d'ailleurs que ç'aurait été la première chose qu'elle m'aurait demandé mais non. A la place, Nicole me demanda mes cordonnés que je lui répondis machinalement. On parla un peu de Niall, resté dans le couloir, et je ne pus m'empêcher de sourire en parlant de lui. Un vrai sourire. Niall était la seule part de bonheur restante dans ma vie et je ne voulais pas le perdre.
Le silence finit par revenir entre nous. Discrètement, je jetai un coup d'oeil à ma montre et remarquai qu'il ne restait qu'une poignée de minutes avant la fin de séance mais Nicole, elle, elle ne semblait pas s'en soucier. Elle me regardait attentivement et parfois, elle gribouillait quelques mots dans son carnet. C'était troublant de savoir qu'elle prenait des notes sur moi alors que la seule chose qu'elle savait à mon sujet, c'était que j'avais un meilleur ami génial et une mère inquiète. Et c'est d'elle qu'elle me parla, par la suite :
 
- Ta maman m'a appelé il y a une dizaine de jours pour demander un rendez-vous, m'apprit la psychologue toujours avec cette voix maternelle. Elle était très inquiète à ton sujet, surtout concernant ton avenir. Elle avait peur que tu fasses une bêtise.
 
Manière subtile pour dire que depuis que Niall m'avait ramené chez moi après l'enregistrement de Maura, ma mère ne me quittait plus du regard. Elle avait pris une semaine de congé qu'elle avait passé à me surveiller et lorsqu'elle n'était pas en train d'écouter derrière la porte de ma chambre, elle s'appliquait à ranger les couteaux trop tranchants dans des placards verrouillés et cacher les médicaments au fond du tiroir de sa chambre. On ne sait jamais. Je lui avais dit pour plaisanter que je pourrais toujours ouvrir ma fenêtre et son regard s'était assombri. D'un coup, son visage s'était tordu de stupeur et d'horreur et j'avais cru pendant un instant qu'elle se demandait comment elle pourrait faire pour fermer la fenêtre de l'extérieur. Mais elle n'en avait rien fait. Et chaque jour, elle me rappelait la date de mon rendez-vous avec Nicole. Après tout, ma mère avait raison de s'inquiéter pour moi, même si je refusais d'en parler.
 
- Ma copine est morte, je dis en essayant d'employer un ton le plus impersonnel possible.
- Je sais, elle me l'a dit, aussi. Il y a sept mois.
- Oui.
 
A présent, mes mains tremblaient et j'eus du mal à reprendre mon souffle après cette révélation. Nicole n'insista pas et mit doucement fin à la séance. On fixa ensemble un rendez-vous pour semaine prochaine et je lui tendis la somme d'argent que ma mère m'avait donné avant de partir. Nicole n'en prit qu'une partie, me rendant le reste. Mais avant de quitter son cabinet, une question me brûlait les lèvres. Elle dut s'en rendre compte car elle non plus, elle ne bougea pas pour me dire au revoir. Elle avait retiré ses lunettes, posé son carnet et son stylo et attendait que je demande :
 
- Vous n'allez pas me donner des cachets ?
- Je ne suis pas habilitée à le faire, elle me répondit, d'une voix toujours posée.
- Vous pensez que j'en ai besoin ?
 
J'étais inquiet. Tout d'un coup, je me demandai si mon état était normal ou si j'avais passé la date pour la phase "dépressive" que l'on retrouve dans le processus de deuil.
 
- C'est à toi de me le dire, Harry.
- Vous en connaissez un qui pourrait me faire oublier Maura ?
- C'est ce que tu aimerais ? Elle était intéressait maintenant. Son dos ne touchait plus le dossier de son siège et son visage était penché vers moi. Pouvoir l'oublier, en dépit de qu'elle a pu t'apporter de positif ?
 
Son sourire lorsqu'elle se réveillait le matin et qu'elle voyait que j'étais éveillé à mon tour. Son rire lorsque j'étais maladroit et que je me cassais la gueule dans les escaliers. Sa bouche qui venait embrasser ma joue, lorsqu'elle partait dans la précipitation. Sa langue qui venait danser avec la mienne lorsque l'on se retrouvait. Sa tête qui venait se poser sur mon torse, après l'amour - ma main dans ses cheveux, son oreille contre mon coeur qui s'emballait. Son regard qui pétillait quand elle ouvrait la porte et qu'elle me voyait. Sa voix qui se brisait quand elle me disait que j'étais con. A l'époque, je croyais que c'était sa façon à elle de me dire "je t'aime" mais après l'enregistrement, j'avais compris que sa voix se brisait parce qu'elle culpabilisait. Maura s'en voulait de ne jamais pouvoir me dire je t'aime alors que s'était si facile pour moi de le faire.
 
- Non, je finis par répondre à sa question.
 
Nicole finit par se lever et m'accompagna jusqu'à la porte de son cabinet. Elle me serra la main, je lui souris en guise de remerciement et je trouvai finalement Niall. Je m'attendais à ce qu'il me tape dans la main ou me demande comment s'était passé la séance mais à la place, je ne retrouvai pas la joie de vivre de mon meilleur ami. Niall s'avança doucement vers moi et me prit dans ses bras. Il me serra si fort contre lui que j'eus peur qu'il me brise une côte mais là encore, je m'en fichais. Ca faisait du bien de sentir la chaleur de son corps contre moi et de l'entendre me dire que tout irait bien pour moi. Je ne savais pas s'il avait raison mais il y croyait si fort que moi aussi, j'avais eu envie d'y croire. J'irais mieux.

In slow motion.Where stories live. Discover now