quinze.

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Le moment où Maura me manquait le plus était sans doute quand je me rendais chez les Daniels et que c'était Andrew qui venait me répondre, ou même Rose. Avant, c'était toujours Maura qui s'en chargeait. Elle me faisait toujours poireauter quelques minutes avant d'enfin ouvrir la porte et m'accueillir avec un sourire taquin. Moi aussi, je souriais. L'amour, ça me rendait con. Encore plus con que d'habitude. Et puis, j'aimais voir Maura rayonner, venir se réfugier dans mes bras avant de poser un baiser chaste sur mes lèvres. Après, c'était moi qui prenait sa main et qui la guidait dans le salon, là où se trouvait toujours sa famille. Elle levait toujours les yeux au ciel, ne comprenant pas pourquoi je m'étais autant attachée à ses parents -même si dans le fond, elle adorait ça- et après seulement, on montait dans sa chambre. Mais tout avait changé à la mort de Maura.
Maintenant, quand je sonnais chez les Daniels, je voyais toujours le sourire triste d'Andrew, je lisais la pitié dans les yeux de sa femme et seulement alors, je voyais Jamie qui courrait me voir. C'était la seule chose qui n'avait pas changé avec le temps ; elle. Ses grands yeux bleus, ses cheveux blonds qu'elle avait récemment coupé en un carré plongeant à la mode dans son école et ses robes toujours plus colorées. Aujourd'hui, elle avait mis du vernis sur ses ongles et elle fût contente de voir que ce détail ne m'échappa pas.
 
- T'es jolie, je lui dis alors que ses joues viraient au rouge.
 
Elle gloussa et vint se cacher dans les bras de Rose qui me sourit, amusée. Cette maison manquait désespérément de vie, de cette même joie que Maura apportait rien qu'avec sa présence. Elle était rarement expressive et ne faisait jamais de blagues, bien qu'elle appréciait plus ou moins les miennes, mais elle avait quelque chose. Son grand coeur sans doute. Je ne savais pas.
J'entendis les marches de l'escalier grincer et lorsque je tournai la tête, je vis Carson. Différente. Avec des cheveux bien bruns, ayant fait disparaître toute couleur de ses cheveux. Tout le monde cessa de rire, ou même de parler. Nos quatre paires d'yeux étaient figés sur Carson, vêtue de son éternelle salopette, qui avait glissé plusieurs pinceaux dans ses cheveux pour espérer les retenir. En vain. Elle finit par ranger ses pinceaux dans la poche centrale de sa salopette et vint me voir. Elle souriait presque. Elle me fit un signe de la main en guise de bonjour et resta à deux mètres de moi, une distance propre à Carson. Jamie finit par nous laisser et après, ce fût Carson et moi qui quittions la maison. L'ambiance était trop pesante ici et j'ignorais toujours pourquoi. Qu'avait bien pu faire Carson pour être détesté de tous ? Ou plutôt, que n'avait-elle pas fait ?
Je soupirai alors que nous prenions la sortie du quartier résidentiel pour retrouver l'arrêt de bus.
 
- Qu'est-ce qu'il y a ? Demanda-t-elle doucement.
 
Je haussai les épaules. Je lui avais promis de cesser de lui parler de ses parents et de leurs histoires mais je ne pouvais m'empêcher d'y penser. Peut-être n'avait-elle pas suivi le chemin que lui avait tracé ses parents ? Si c'était le cas, je comprendrais bientôt ce que Carson ressentait. J'avais prévu de parler de mes études à ma mère. Bientôt. Initialement, je devais le faire il y avait trois jours mais je n'avais pas trouver le courage de lui dire que le droit ne me plaisait plus. Elle avait dépensé tellement d'argent pour mon éducation, fait tellement de sacrifice pour que j'accède à cette faculté et maintenant, j'allais lui dire que je la quittais pour... Pour passer mes journées à traîner avec Niall et Carson qui étaient eux aussi sans avenir. Quoique. La vie d'artiste était fluctuante. Demain, un producteur pourrait rencontrer Niall et vouloir le signer dans une maison de disques. Ou encore, Carson pourrait participer à un concours libre et devenir une peintre renommée. Mais un ancien étudiant en droit, personne ne pouvait lui promettre un avenir.
 
- J'aimerais pouvoir te capturer quand tu es comme ça, me dit Carson.
 
Je fronçai les sourcils et me tournai vers elle, alors que notre bus arrivait au même moment. Tant pis, on prendrait le prochain. Je la laissai continuer :
 
- J'aimerais tellement prendre ça, poursuivit-elle en retraçant le contour de mes yeux, et les mettre sur une toile. Juste tes yeux. Et ton regard que tu fais tout le temps. Pas celui que tu fais quand tu penses à Maura mais celui que tu fais quand tu penses à l'avenir.
 
Je plongeai mes mains dans mes poches et haussai les épaules. Je ne savais pas de quoi où elle voulait parler. Ou peut-être que si, je savais, et ça me dérangeait.
Finalement, on a marché pendant près de quarante minutes, sans rien nous dire, jusqu'à ce qu'on arrive chez Niall et qu'on le découvre dans la rue, en train de jongler avec son ballon de foot. Je levai les yeux au ciel alors que le sourire de Carson s'amplifia. Niall abandonna son ballon en nous voyant arrivé et prit Carson dans ses bras, comme deux vieux amis qui ne s'étaient pas revus depuis longtemps. J'en avais déjà parlé à Niall de leur rapprochement soudain et de cette proximité que Carson n'avait qu'avec lui. Il m'avait juré que ce n'était que de l'amitié mais je me demandais sans ce qu'elle, elle pouvait bien ressentir pour lui.
 
- Ta mère a enfin compris que t'étais pas fait pour être avocat et t'a laissé sortir ? Je tapai Niall sur le sommet du crâne avant de sourire et de lui répondre :
- Je me suis enfui quand elle était en train d'installer des barreaux à ma fenêtre.
 
Et là, Carson se mit à rire. A rire franchement. A rire de la manière que Maura, avec ce même rire que je croyais avoir oublié. Je sentis mon coeur se gonfler dans ma poitrine alors que mon souffle s'est coupé. Je ne comprenais pas. C'était tellement étrange de retrouver des frissons parcourir mon dos qui n'étaient pas dû à la peur de ne pas voir Maura dans mon lit, lorsque j'ouvrirais les yeux. C'était tellement agréable cette chaleur qui prenait possession de mon être et qui me rappelait que j'étais encore en vie. Tout cabossé, tordu, mal en point, mais debout malgré tout.
 
- Harry ?
 
Je relevai la tête et croisai le regard apeuré de Carson avant de voir Niall et son regard inquiet. Je chassai les larmes qui avaient coulé le long de mes joues et essayai un sourire qui ne persuada personne, même pas moi-même. Je pris une profonde inspiration et vins m'asseoir devant le garage de Niall, à le regarder jouer au foot alors que Carson essayait de lui prendre le ballon.
Je voyais son carnet dépasser de la poche arrière de sa salopette et ses éternels crayons coincés dans ses cheveux. Carson avait cette beauté étrange qui m'intriguait. Elle n'avait pas le charme de Maura et ne possédait pas les grands yeux bleus de Jamie mais à sa manière, elle arrivait à briller. Lorsqu'elle passait grossièrement une main dans ses cheveux pour les chasser de devant ses yeux, lorsqu'elle roulait ses "r" d'une façon très latine alors qu'elle avait toujours vécu au Royaume-Uni ou encore maintenant, lorsqu'elle souriait de toutes ses dents, alors qu'elle jouait avec Niall. Ils étaient si différents, c'était dur de croire qu'ils avaient pu devenir amis. Niall était celui qui parlait trop et elle, elle ne parlait jamais. Hormis en sa présence. Avec lui, elle parlait des derniers records en athlétisme, de cette voisine qui tournait autour de Niall sans qu'il s'en rende compte ou dernièrement encore, de sa peinture. Comme maintenant, alors que Niall avait passé un bras sur les épaules de Carson et qu'il l'écoutait parler d'une oeuvre qu'elle avait fait à dix ans.
 
- C'était pas grand-chose, je t'assure, souffla-t-elle en s'avançant jusqu'à moi, son regard éternellement posé sur ses chaussures.
- T'avais dix ans, Carson !
- Ce n'était qu'une frise avec les héros Marvel. N'importe qui aurait pu le faire...
- Surtout toi.
 
 Elle sourit et cacha ses joues rosées contre le torse de Niall qui explosa de rire. L'innocence de Carson l'amusait alors que moi, elle m'intriguait. Et m'inquiétait. Niall disait toujours que je ne devais pas forcer les choses mais c'était dur de regarder Carson se replier sur elle-même et se dévaloriser alors que ses toiles prouvaient que c'était un aigle coincé dans le corps d'un moineau.
Niall vint s'asseoir à côté de moi, suivit de près par Carson qui noua ses pieds avec les miens et on se mit à regarder la rue. Les voitures qui passaient, les gamins qui se courraient après et les mères qui leur criaient après. C'était drôle comme spectacle et ça me rappelait tous les moments que j'avais passé avec Niall, quand on était plus jeune. De nos premières fois. Première heure de colle, premier joint qu'on avait fumé en cachette derrière chez moi, premier baiser qui pour moi c'était passé dans les couloirs de l'école alors que pour Niall, c'était en colonie, avec une petite blonde qui aurait pu être sa soeur tant ils se ressemblaient. Quand Maura était sous dialyse et qu'on lisait encore des magasines ensemble, j'avais lu un article qui expliquait qu'on choisissait un amant qui nous ressemblait. J'avais donné un coup de coude à Maura pour qu'elle y jette un coup d'oeil et elle avait ri en prenant son cellulaire pour voir nos deux visages, côte-à-côte, qui était tout sauf semblable.
 
- Il signifie quoi, celui-là ? Demanda Carson en pointant son doigt sur l'un des tatouages présent sur mon bras.
 
Je regardai à peine le dessin, me souvenant de chacun des dessins sur mon corps. Je haussai les épaules pendant que Niall s'appliquait à dire à Carson que je ne parlais jamais de mes tatouages. A personne. Niall les connaissait, pourtant. Il n'avait jamais compris mon besoin constant de retracer ma vie sur ma peau mais il l'acceptait. Et il gardait le secret. Il savait et il savait que je le savais. C'était suffisant. C'est ce qui expliquait aussi pourquoi notre amitié fonctionnait.
 
- C'est tellement délicat le travail d'un tel artiste, chuchota Carson, tout en traçant le bateau présent sur mon biceps. On dirait qu'il a essayé de mettre chacune de tes émotions sur ce dessin... C'est bluffant.
- Heureusement que tu n'as vu que ses tatouages sur les bras. C'aurait été gênant que tu retraces celui qu'il a sur...
- La ferme, Niall, je grommelai pour couper sa phrase.
 
Lui, par contre, ça le fit rire. Carson, nettement moins. A vrai dire, je ne savais même pas si elle nous avait entendu. Son regard restait captivé par les dessins sur mon corps et lorsqu'elle releva la tête et que son regard croisa le mien, elle réussit à m'atteindre. Elle perça mon âme à jour et je me sentis plus vulnérable que jamais. Elle avait compris.

In slow motion.Where stories live. Discover now