six.

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Je n'avais pas remis les pieds chez les Daniels depuis treize jours et l'angoisse commençait à me gagner à l'idée de me trouver devant leur porche, le poing tendu vers leur porte. Ma mère m'avait dit que j'avais besoin de m'aérer l'esprit et je l'avais fait. J'étais pas mal sorti, la semaine dernière. Avec Niall, principalement. Il savait que je n'étais pas encore prêt à tourner la page sur Maura -le serais-je un jour ?- et à l'inverse de Liam, il ne m'avait jamais poussé à aller voir "la fille sexy qui est en éco avec toi". Et j'avais été la voir, cette fille. Pour lui demander l'heure. Ouais, c'était pas tellement original, surtout que je suis passé pour un con car j'avais mon portable à la main avec l'heure bien visible dessus. Elle s'est contentée de me répondre en haussant les épaules. Vingt-trois heures cinquante. Et je suis parti. Elle m'a fait un signe de la main, gênée, ayant sans doute pitié de moi à cet instant, tout comme je me suis honteux et tellement con. Et j'étais parti, sans plus adresser un mot à Liam ou même à Niall qui cherchait quoi faire. Intervenir ou juste garder le silence. Finalement, il s'est pointé deux heures plus tard chez moi et on est resté couché dans le même lit, à parler de Maura. J'avais besoin de ça, je crois. Lui aussi, quelque part. On ne s'était pas vraiment parlé depuis une éternité et j'avais besoin qu'il soit un ami pour moi, à ce moment-là. Et lui, ça allait bientôt faire onze ans que sa mère était morte et il voulait se changer les idées. Ca lui a fait du bien de se foutre de ma gueule quand je lui ai avoué le pire rencard que j'avais eu avec Maura, à notre douzième sortie.

C'est avec une boule coincée dans la gorge que je portai mon poing jusqu'à la porte et que je tambourinai sur celle-ci. Je n'entendis aucun bruit dans la maison, pas le moindre mouvement qui aurait pu me prouver que les Daniels étaient là. Ils devaient être partis, surtout à une heure pareille. Il n'était que quinze heures et je portais mon tee-shirt du vendredi d'un bleu clair qui arrivait à mettre en valeur mes yeux verts, selon Maura. J'attendis encore quelques minutes, tentant à nouveau de frapper à la porte, mais face à cette absence de réaction, je décidai de faire volte-face et me voûtai légèrement. Par la déception ou par le froid, je ne sus trop pourquoi. Mais alors que je m'en allais, j'entendis le loquet de la porte se détendre et une voix m'appela. Pas par mon prénom, à ma grande surprise. Juste un "Hey" impersonnel, qui ne ressemblait tellement pas aux Daniels.
Et c'est là que je la vis, cette fille aux cheveux noirs jais coupés en un carré difforme. Elle avait de grands yeux verts, différents de ceux azur qu'avaient hérité Maura et Jamie de leurs mères. Seul Andrew avait les yeux marrons dans la famille et cette fille ne lui ressemblait pas, non plus. Elle ne ressemblait à personne, à y regarder de plus près. Un nez légèrement aquilin, un visage impassible qui m'était inconnu, tout comme cet air pincé qu'elle avait. Pourtant, malgré ses sourcils froncés et son air impatient, je n'étais pas mal à l'aise. Je ne ressentais rien, à vrai dire. Je me demandai surtout qui était cette fille qui avait ouvert la porte des Daniels. L'espace d'une seconde, je pensai à une cambrioleuse mais je me ressaisis lorsque mes yeux se posèrent sur sa tenue légère. Une simple chemise trop large nouée au milieu du ventre, un tee-shirt noir en-dessous alors qu'elle avait enfilé un short pour essayer de couvrir une parcelle infime de ses jambes.
 
- Oui ? Dit-elle en voyant l'air hébété que j'affichais depuis qu'elle m'avait ouvert.
 
J'hésitai un instant, les lèvres pincées, et décidai de faire quelques pas jusqu'à la porte et cette fille mystérieuse. Je gardai cependant une certaine distance entre nous, ne me sentant pas totalement en confiance. Il y avait tellement de choses qui me traversaient l'esprit d'un coup et surtout, ma "pause" de treize jours. J'avais toujours été proche des Daniels. Cela ne concernait pas que Maura. Je ne voulais pas faire bonne impression, je ne cherchais pas à devenir le "beau-fils adoré", ni même le petit-ami idéal. Je m'étais seulement attaché à eux. A Andrew, qui avait été impressionné par mes compétences en pèche et qui avait participé à plusieurs "week-ends entre hommes" qu'organisait régulièrement Robin. Initialement, ce n'était que lui et moi mais il avait été heureux que je ramène Andrew. Tout de suite, le contact était passé entre eux et ils étaient restés amis. Quant à Rose, elle n'avait jamais été proche de ma mère. Elle s'était vu, quelques fois, et se respectaient mais maman était sans doute trop introvertie pour la tempête qu'était Rose avant que Maura ne décède. Elle ne s'arrêtait jamais, parlait sans cesse, un peu à la manière de Maura. Sauf que Rose, elle voyait les gens. Elle les voyait vraiment. Au-delà de tout. Et elle m'avait vu quand Maura m'avait laissé en plan avec sa mère au bout de deux mois de relation pour aller aider des amis lors d'un rassemblement. Jamie, c'était autre chose. Je savais ce que c'était d'être un petit frère, le dernier d'une famille de deux. Gemma aimait me taquiner et se moquer de moi dès qu'elle en avait l'occasion. Je faisais la même chose lorsqu'elle vivait encore à la maison et qu'elle ramenait ses petits-amis de l'époque. J'aimais bien les surprendre lorsqu'ils s'embrassaient et lancer des réflexions à son copain du moment, des choses qui faisaient honte à Gemma mais qui me faisaient rire, moi. Mais être un grand frère, j'ignorais ce que c'était jusqu'à ce que je rencontre Jamie et qu'elle devienne cette petite soeur que je n'avais jamais eu, malgré mes demandes auprès du père Noël chaque année, pendant six ans. Jusqu'à ce que, exaspérée, Gemma me révèle la vérité concernant ce dernier. J'étais effondré ce jour-là, pensant que plus jamais je n'aurais de cadeaux le vingt-six Décembre, lors du boxing day.
 
- Mmh... Je voulais voir Jamie, est-ce qu'elle est là ?
- Non.
 
Ca avait le mérite d'être clair. Seulement, en me coupant l'herbe sous le pied, je ne trouvai rien d'autre à dire. J'ouvris la bouche mais aucun son n'en sortit. J'avais suivi les conseils de ma mère. Durant quasiment deux semaines, j'avais profité de ma jeunesse, j'avais vécu ma vie presque comme si Maura ne me manquait pas. Presque, seulement, parce qu'à chaque fois, je tournais la tête vers la droite et je remarquais que personne n'était à mes côtés. Et même la présence quotidienne de Niall n'avait pu me permettre d'effacer son souvenir si durement ancré dans mon esprit. Le problème avec mon absence dans la vie des Daniels, c'est que j'eus l'impression qu'en treize jours, j'avais perdu le peu de place que j'avais dans leur vie. La preuve en était : Une mystérieuse fille venait me répondre lorsque je vins sonner à leur porte.
 
- T'étais une amie de Maura ? Tentai-je de lui demander.
 
Elle soupira fortement, agacée par mes questions et ma présence, sans doute. Ca se voyait à son visage. Elle était occupée avant mon arrivée, ses mains jouaient nerveusement ensemble alors que moi, je scrutai son visage. La pâleur de celui-ci qui contrastait avec ses cheveux bien brun et en y regardant de plus près, je découvris une multitude de mèches multicolores dans sa chevelure. Comment avais-je pu passer à côté durant tout ce temps ? La fille pinça ses lèvres - le même vieux réflexe que j'avais- et me répondit d'un ton glacial :
 
- C'est Carson.
 
Et je me sentis tellement con d'un coup. C'est vrai que je me sentais con les trois quart du temps mais aujourd'hui, plus encore, alors que se trouvait devant moi la soeur de Maura. La soeur de Jamie. Leur soeur partie je-ne-sais-où il y a plusieurs années. Maura m'en avait parlé, une fois. Rien qu'une fois. Lorsque j'étais tombée sur des clichées des trois soeurs Daniels et qu'elle m'avait raconté que tous les opposaient. Elle ne m'avait rien dit de plus à son sujet. Juste qu'elle était différente. "Bizarre", qu'elle avait dit exactement. Et c'est bizarre parce que moi, c'est Maura que je trouvais bizarre. Et je me suis dit que peut-être, la notion de "bizarre" de Maura signifiait être normal pour moi. Je dus blêmir devant mon erreur car Carson fronça les sourcils, d'avantage soucieuse que contrariée. Je m'excusai donc :
 
- Oh, pardon. Je suis désolé, je ne t'avais pas reconnu. Tes cheveux...
 
C'était la première chose qui m'était venue à l'esprit et cela sembla lui plaire car je la vis sourire légèrement et enrouler discrètement une mèche autour de son doigt. On ne devait pas faire souvent attention à elle, ni à ses changements physiques. Ou alors, elle était surprise que je sache qui elle était. Dans les deux cas, cela me rendait triste pour elle. Elle ne méritait pas d'être une simple poupée en chiffon qu'on rangeait dans un placard. Pourtant, par l'absence de photos d'elle dans la maison de ses parents, c'est ce qu'elle semblait être. Juste un fantôme qu'on avait fini par oublier.
 
- Oui, me répondit Carson en retrouvant son air détaché et cette froideur qu'elle employait pour mettre de la distance entre nous. J'ai mis de la peinture.
- Vraiment ?
- Non.
 
Cette fois-ci, elle sourit franchement. Un sourire qui n'avait rien à voir avec les dents de lait de Jamie ou le sourire éclatant de Maura, lorsqu'elle de bonne humeur. Là, c'était un tout autre sourire. Le genre que je n'avais jamais vu, chez personne. Et je me suis surpris à faire attention à tous ces détails chez elle. Avant Maura, je ne remarquai jamais toutes ces choses chez une femme. Et puis, je connaissais rien de Carson et elle m'intriguait. Elle n'était pas présente aux funérailles de sa propre soeur et à en croire Maura, elle était presque inexistante aux yeux de tous. Je ne comprenais pas pourquoi. Elle était plutôt jolie sous ses yeux charbonneux et ce rouge à lèvres sombre. Pourquoi cherchait-on à la cacher ? Ou alors, pourquoi se tenait-elle à l'écart du monde ? Comme si le soleil n'était pas assez gros pour l'éclairer à son tour. Ca se voyait à sa posture, à la façon dont elle vacillait sur ses pieds, qu'elle était incertaine et surtout mal à l'aise en ma présence. Je décidai donc de mettre un terme à cet échange, me promettant de lui reparler à l'avenir mais surtout, de parler d'elle à Jamie.

 
 

86ème jour.

 

Maura était bavarde, du genre à parler sans jamais s'arrêter. Une fois, j'avais compté combien de mots elle arrivait à prononcer sans reprendre sa respiration et j'avais été impressionné par le nombre cent-six. Après, j'avais eu peur. J'avais douté de son humanité, l'espace d'un instant. Et après, je m'étais perdu dans ses explications et ses théories sur la fin du monde et sa vision de la mondialisation. Et même si Maura était celle qui parlait, j'étais sans doute le seul de nous deux qui se livraient. Elle, elle parlait surtout pour ne pas que le silence montre la partie d'elle-même qu'elle s'efforçait de cacher. Elle ne voulait pas que je remarque le tremblement léger de ses doigts, lorsqu'elle était nerveuse ou encore, lorsqu'elle bredouillait quelques mots presque inaudible quand je disais des choses qui la touchaient. Comme quand un jour, je lui avais dit qu'elle était belle. Je ne savais plus de quoi elle me parlait à cet instant mais moi, j'avais le regard figé sur ses lèvres qu'elle laissait au naturel et qui me donnait sans cesse envie de l'embrasser. Et je lui avais dit comme ça : "T'es belle". J'avais vu ses joues rosirent, ses doigts se tordre et tous ces tics de langage ressortir mais je n'avais rien dit. Elle avait été troublée et avait eu du mal à reprendre la parole. Je m'étais doucement moqué d'elle alors que j'étais le crétin qui tombait amoureux d'elle et de tout ce qui la rendait spéciale.
 
- J'ai une soeur, m'avait-elle annoncé un jour.
 
Cela devait faire six mois qu'on sortait ensemble et je l'avais regardé, incrédule. Bien sûr qu'elle avait une soeur, je la voyais presque tous les jours ou en tout cas, à chaque fois que je me rendais chez elle. Jamie était presque toujours celle qui m'ouvrait la porte, un sourire collé aux lèvres. Elle était contente de me voir et rougissait lorsque je posais mes lèvres sur ses joues ou son front. Je savais qu'elle était amoureuse de moi (sans doute plus encore que Maura) mais j'aimais voir l'embarras envahir ses traits. L'amour, à sept ans, c'était tellement plus simple qu'à dix-neuf. Quoique. Etre amoureuse du petit-ami de sa soeur aînée, c'était digne d'une tragédie du XVème siècle. Digne de Shakespeare, même s'il datait du XVIème.
Maura avait compris que je n'avais pas saisis ses paroles. Elle aurait pu paraître vexée et elle aurait sans doute dû renoncer, surtout que pour la première fois depuis des mois, elle me disait quelque chose sur elle que j'ignorais mais elle a pris son courage à deux mains et a fait face à mon jugement qui lui importait tant. Elle savait pourtant que je ne savais pas me montrer méchant mais elle avait toujours peur de ne pas être assez bien pour moi. Ne voyait-elle pas que j'étais le bouffon, lorsqu'elle jouait le rôle de la reine ?
 
- Elle s'appelle Carson, m'avait-elle dit, hésitante.
 
Son regard était posé sur ses mains qu'elle avait lié aux miennes et essayait de se défaire de mon emprise alors que je serrais plus fort ma prise. Je ne voulais pas qu'elle m'échappe. Pas cette fois.
 
- Tu ne l'as jamais vu parce qu'elle vit au nord, elle m'avait expliqué, toujours aussi nerveuse et tendue. Elle est très différente de moi, ou même de Jamie. Si tu nous voyais toutes les trois ensemble, tu aurais du mal à croire qu'elle fasse partie de la famille. Même nous, on en doute parfois, avait-elle ajouté dans un rire nerveux.
 
J'avais finalement détaché mes mains des siennes. Elle, elle avait baissé la tête, comme si ce simple geste lui brisait le coeur. Craignait-elle autant l'avis que je pouvais me faire d'elle ? J'avais posé mon front contre le sien et avait souri lorsqu'elle avait les yeux jusqu'à moi. Je l'avais embrassé, aussi. Chastement, sur les lèvres, en pressant ses joues à l'aide mes mains. J'avais vu les larmes prendre naissance dans ses yeux mais je ne sus jamais si cela était dû à l'émotion qu'elle avait à m'embrasser ou les souvenirs de sa soeur qui affluait à son esprit.

In slow motion.Where stories live. Discover now