huit.

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Je courrais dans les couloirs de l'hôpital, tel un fou qui aurait réussi à s'échapper d'un asile. Je regrettais les trois paquets de cigarettes que je passais chaque semaine lorsque je dus grimper les quatre étages de l'établissement, jusqu'à ce que je me trouve dans le service souhaité. Je regardai à nouveau les indications d'Andrew, ralentissant à peine la cadence, avant de me jeter sur la porte de sa chambre. Littéralement. Je ne m'attendais pas à trouver la porte aussi vite et encore moins à ce qu'elle soit fermée. J'eus du mal à reprendre mes esprits et réaliser qu'une aide-soignante venait d'ouvrir la poignée, me dévisageant en remarquant la trace rougeâtre sur mon front et mon nez ensanglanté. Je sentis le liquide s'écouler sur mes lèvres et tâcher mon tee-shirt mais cela m'était égal. J'avais repoussé la femme en tenue blanche pour me diriger vers Maura, allongée sur son lit, une horrible chemise d'hôpital sur le dos. J'aurais sans doute dû saluer ses parents ou encore lui demander comment elle allait mais à la place, je me laissai tomber sur son corps et pleurai. J'entendis Rose dire à son mari de quitter la pièce, la porte qui se referme et le silence qui envahit les murs immaculés de l'hôpital mais je ne relevai pas la tête pour en avoir confirmation. J'étais terrifié à l'idée de perdre Maura mais si je pleurais, c'était parce qu'elle était encore là, sur Terre, en vie, à passer une main réconfortante dans mes boucles alors qu'à mon oreille, elle me murmurait que plutôt de me péter le nez dans une porte, je ferais mieux d'économiser mon sang pour faire un don. J'avais ri. C'était drôle, après tout, même si l'endroit dans lequel on se trouvait renfermait tellement de malheurs. Elle m'avait aidé à me redresser et m'avait soutenu encore un moment, le temps que mes forces me reviennent alors que les siennes l'abandonnaient. Elle était si faible sur ce lit d'hôpital, son visage à peine éclairé par la lumière du jour et le ciel assombri ce jour-là. Elle était si courageuse alors que moi, je continuais de pleurer, ma tête posée sur son épaule à regarder les nuages qui se mouvaient lentement.
 
- Tu vas en ressortir, tu sais, je lui avais dit, en relevant un peu la tête.
 
Elle, elle ne m'avait pas regardé. Son regard était posé sur la fenêtre, le seul espace qui lui rappelait sa liberté disparue. Je la soupçonnais de ne pas m'écouter mais je m'en fichais. Moi, j'aimais sentir son coeur battre régulièrement dans sa poitrine et sa main liée à la mienne. Je ne pouvais pas détacher mon regard de son visage. Elle était si belle, Maura, alors que la mort la guettait. Moi, c'est l'avenir qui me suivait de partout, comme une ombre, et j'étais terrifié par tout ce noir autour de moi. Maura se rendait compte qu'elle était en train de mourir alors que moi, j'étais aveugle à tous les signes de la maladie. Je ne voyais pas les bleus sur son corps, les cernes sous ses yeux et le cathéter qui lui mangeait le bras gauche. J'avais appris à ne plus faire gaffe aux patchs collés sur son dos ou sa poitrine, à son souffle bien plus saccadé que d'habitude lorsqu'on faisait l'amour ou à son manque de force même lors des activités qu'elle aimait tant. Cela faisait bien longtemps que Maura n'était pas sortie dans la rue pour faire entendre sa voix.
 
- Josh espère te revoir bientôt, dis-je pour attirer son attention. Il est sur un gros coup, il va bientôt nous annoncer ses directives. Il m'a même mis dans la confidence, c'est pour te dire à quel point tu lui manques.
- Je ne reviendrais pas, Harry, m'avait-elle soufflé.
 
Elle avait appuyé sur le bouton rouge qui pendait à la potence de son lit, appelant ainsi une infirmière qui me prit en charge. Je n'avais pas eu le temps de répliquer que déjà, l'infirmière m'avait fait asseoir sur une chaise, à quelques mètres de Maura, pour désinfecter mon nez. "C'est cassé", elle m'avait dit et j'avais haussé les épaules. Peu importe. Je m'en foutais de mon nez, de la bosse que j'aurais à l'avenir et du sang qui s'écoulait encore faiblement de mes narines. Je voulais voir Maura, ne l'avoir rien que pour moi et lui demander ce qu'elle entendait par "Je ne reviendrais pas". Pourquoi ne se battait-elle pas ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Maura m'avait reparlé que bien plus tard, après que ses parents soient revenus, après que les infirmières soient venues extraire à nouveau du sang de ses veines, après que les heures des visites soient terminées. J'aurais dû être parti depuis bien longtemps mais je ne pouvais pas me résoudre à partir et Maura, elle n'était pas prête à me supplier de rester. Alors, j'avais ouvert la bouche le premier :
 
- T'es pas belle sans maquillage.
 
Elle ne s'y attendait pas ; moi non plus d'ailleurs. Surtout qu'elle n'en portait que très rarement et que j'avais toujours préféré l'éclat naturel de sa peau claire plutôt que l'épaisse couche de fond de teint qu'elle mettait deux fois par semaine, pour retrouver les membres de son association. J'avais vu sa bouche s'entrouvrir et le silence qui s'était installé par la suite. Un silence qu'elle ne rompit que lorsqu'elle fût capable de masquer sa surprise et d'afficher un air énervé, avec sa vilaine ride qui se dessinait entre ses yeux :
 
- Je vais pas me foutre cette merde cosmétique qui tue des baleines pour te faire plaisir !
- Bah voilà, maintenant qu'on parle des baleines !
- Figure-toi que ces baleines sont essentiels pour l'équilibre de la chaîne alimentaire et de tout notre système ! On mourrait sans elles !
- Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre des baleines ? Je m'étais soudainement énervé, la laissant coïte : Je m'en fou des baleines et de leur fonction sur Terre parce que toi, t'es vraiment en train de mourir, c'est pas un truc hypothétique que balancent tes écolos de merde pour faire flipper. Toi, tu meurs, Maura, et t'es pas fichu de me dire que tu m'aimes et que t'es contente que ce soit moi qui reste tard dans la nuit, et pas tes baleines qui se trouvent dans ton rouge à lèvres. Tu fais chier, Maura.
 
J'étais parti immédiatement après, surtout parce qu'une aide-soignante s'était pointée dans la chambre avec un gars de la sécurité et que face à lui, je n'avais aucune chance. J'avais même pas posé mon regard sur Maura avant de partir, je me sentais suffisamment honteux vis-à-vis de mon comportement. J'avais été tellement con. Si con que deux heures plus tard, alors que je me trouvais dans mon lit à écouter de la musique pour m'endormir, je m'étais dit que peut-être, les derniers mots que Maura auraient entendu de ma bouche aurait été une insulte. Elle qui pourtant détestait la vulgarité... Et je me suis senti encore plus con de penser à ça alors qu'elle était en vie, à seulement quelques kilomètres de moi. Une vingtaine, je crois. Et quand je me suis mis à écouter une chanson de YMAS, mon portable a vibré. Je croyais pas aux signes et tout ça mais j'avoue que c'était troublant que ça tombe juste à ce moment-là. J'ai tout de suite attrapé mon cellulaire et mon coeur s'est serré lorsque j'ai lu le prénom de Maura apparaître. Et avant de lire son message, je me suis dit que je devais être le seul homme au monde qui appelait sa petite-amie par son prénom plutôt que par un surnom ridicule qui la ferait glousser. Ou peut-être pas. Maura ne gloussait pas, en fait. Jamais. Elle riait franchement ou elle maintenait un regard fixe qui montrait son je-m'en-foutisme qui lui était propre. Je pris une profonde inspiration et d'une main tremblante, j'appuyai sur l'écran tactile. C'est là que je lus les trois mots que Maura était incapable de prononcer :
 
Je t'aime.
 
Agacé, je lui répondis avec toute la froideur dont j'étais capable :

In slow motion.Where stories live. Discover now