cinq.

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Je me sentais bizarre aujourd'hui. Ca faisait presque trois mois que Maura était morte et même si le monde n'était pas prêt à l'oublier, moi, j'avais le sentiment étrange qu'elle était en train de disparaître de ma vie. Ca avait commencé la veille, lorsque ma mère avait lavé mon tee-shirt du samedi en retard et que je m'étais retrouvé comme un con, devant mon placard, à regarder les six tee-shirts qui se trouvaient devant mes yeux. Ils y étaient tous, sauf celui du jour. Et j'aurais pu être feignant, j'aurais pu me dire qu'après tout, ce n'était qu'un tee-shirt et que ne pas le mettre une fois dans ma vie ne remettait pas en doute mon amour pour Maura. Sauf que j'en avais été incapable. Je m'étais précipité dans la buanderie, où le tee-shirt du samedi était en compagnie du reste de mes affaires, à sécher sur l'étendage. Il était bien trop mouillé pour être porté mais je l'ai tout de même pris et enfilé dans la foulée. Et maintenant, j'avais chopé la crève mais je continuais de sourire comme un con parce que je n'avais pas brisé le pacte que j'avais avec Maura. Et même si elle, elle ne portait plus son tee-shirt du jour, j'avais le devoir de le faire pour elle. Je ne pouvais pas me résoudre à l'oublier.
J'adorais les dimanches, avant. C'était le seul jour de la semaine où maman et Robin étaient à la maison et où on prenait notre petit-déjeuner plus tard, tous ensemble. On parlait durant des heures. De mes cours à la fac, du job à l'épicerie que j'avais décroché avant que ce ne soit celui à la boulangerie, au manège, au bureau de Poste... Il y en avait eu tellement que j'avais fini par les oublier. Et chaque dimanche midi, je mettais un pantalon plus habillé que d'ordinaire, j'enfilais mon tee-shirt du dimanche et je filais chez les Daniels. Chez eux, le dimanche était synonyme de ragoût et je dois avouer qu'Andrew était le meilleur cuisiner au monde. Quand Maura est tombée malade, c'est la seule chose qui n'avait pas changé. Les dimanches. Jusqu'à ce qu'elle meurt. Au début, Andrew essayait de faire semblant. Il enfilait son tablier et restait des heures derrière les fourneaux à concocter son plat alors que Rose m'invitait à la maison. Seulement, autour de la table, une place restait vide et ce vide nous rappelait trop celui qui habitait nos coeurs. Alors, le ragoût du dimanche est devenu le ragoût un dimanche sur deux. Et un jour, il n'y a plus eu de ragoût. Bien sûr, Rose m'a appelé pour me dire que je pouvais toujours passer la journée à la maison, qu'on boirait le thé tous ensemble et qu'on irait faire un tour mais j'ai perdu goût à tout cela. Vivre était devenu trop difficile. Maura me manquait tout le temps. On ne faisait pas partie de ces couples qui ont le besoin de se voir constamment et maintenant, j'étais emprunt aux regrets. Je voulais l'avoir avec moi tous les jours de ma vie. Je voulais passer ma soirée à l'embrasser, la nuit à lui faire l'amour alors qu'au réveil, je lui aurais apporté le petit-déjeuner au lit. J'aurais dû faire tout ça quand j'en avais encore l'occasion. Justement, pour éviter de me dire que j'avais foiré notre histoire alors que même en partant, Maura m'avait avoué que cette histoire était la plus belle qu'elle ait eu.

- Harry, tu as de la visite !

Je lâchai un soupir et fermai mon ordinateur sur un mail de l'association de Maura. Je l'avait contacté suite à l'article paru sur Maura et la responsable m'avait expliqué que c'était son idée. Elle avait fait des pieds et des mains pour que les actions de Maura arrivent jusqu'aux oreilles des gérants du site et qu'ils décident de lui consacrer un article. Depuis, des dizaines de personnes avaient pris contact avec moi pour me parler de leurs propres actions militantes. Moi, je m'en foutais de tout ça mais je savais que ça aurait fait plaisir à Maura donc je les ai remercié, un par un, et je les ai encouragé à continuer leurs agissements pour offrir au monde l'avenir qu'il méritait. J'avais adoré écrire cette phrase sur un mail destiné à une fille qui avait Maura comme modèle.
Je descendis tranquillement les escaliers en ajustant mon tee-shirt du dimanche et je vis Niall dans le salon, en train de discuter avec mon beau-père à propos du match de la veille. Enfin, je n'étais pas sûr qu'il y ait eu un match la veille mais le sport était sans doute la seule chose qui passionnait autant Robin que mon meilleur ami. Niall me vit enfin et se releva, un sourire radieux collé aux lèvres. Il était toujours comme ça, Niall. Heureux. Même quand il était triste, il continuait de sourire. Je lui avais dit qu'il était con, qu'il pouvait me faire confiance et être lui-même quand il était avec moi et lui, il m'avait répondu que justement, il était lui-même. Niall, peu importe les merdes qui lui tombaient dessus, il pensait à tous les coeurs qui pouvaient être apaisés parce qu'il souriait. Et pendant longtemps, j'avais souri à mon tour. C'est ça qui avait fait craquer Maura. Mon sourire que je n'avais pas peur de montrer alors que le monde courait à sa perte. Mais je n'avais plus la force de faire semblant maintenant. Pas même pour Niall. Je tentai un sourire sincère en le voyant s'approcher mais il sonna plutôt comme une grimace. Il se moqua de moi avant de me serrer dans ses bras et j'eus l'impression que mon coeur explosa à nouveau dans ma poitrine.
 

In slow motion.Where stories live. Discover now