Mon Ange

Cindy

Je réajuste ma position sur la chaise et décroche non sans peine mon regard de la brunette.

Un vieux son des Doors démarre dans nos oreilles, je bats la mesure sur la table du bout des doigts, putain on est bien là !

– À la tienne gros ! dis-je en buvant ma première gorgée de bière.

– À la tienne Père Noël !!!

Putain le lourd, j'ai pas fini d'en entendre parler.

Il reprend :

– Alors tu parlais de ta recherche d'appart tout à l'heure, ça dit quoi ?

– Ben pas grand-chose en fait, je ne me suis pas plus cassé la tête que ça. Finalement, c'est pas si désagréable d'être chez les parents. En semaine, je gère que dalle. Merci maman.
Et le week j arrive souvent à finir dans le pieu d'une conquête. Du coup niveau contrainte ça va !

– Ta mère elle a pas une p'tite place pour moi ? se marre le grand blond.

Je lui souris en coin et reprend une gorgée de bière.

Mon cerveau se met en alerte. Il y a du mouvement à « notre table ».
La petite brune se lève, elle est vraiment toute petite. Elle fouille dans son sac un bon moment... pas de doute, c'est bien une gonzesse ça à l'air d'être un sacré merdier là-dedans.
Elle en sort triomphante un paquet de camel.
Enfile une longue veste noire par-dessus sa robe bohème et enroule un épais châle noir autour de son cou, je continue à la détailler et remarque qu'elle porte une paire de bottes doc martin's matte.
Son look bohème rock me tourne la tête, cette nana je la veux !

J'attrape mon paquet de clopes, enfile ma veste.

– Je sors fumer mec !

Je vois le regard de mon pote suivre le trajet de la brune puis il dit :

– Tiens étonnants !
Essaie au moins de chopper son numéro.

Je lui fais un clin d'œil et me dirige vers la porte.

L'air est froid et la nuit commence déjà à tomber. Le centre-ville est désert hormis un attroupement de fumeurs qui squattent l'entrée du bistrot en se plaignant des températures.

Et ouais les gars, c'est l'hiver et attention grande nouvelle l'hiver ben ça caille !

J'avance un peu, m'adosse au mur juste à côté du cendrier.
Fin stratège, passage obligé pour la brunette avant de rentrer, et je porte ma clope à la bouche. Mes yeux balaient les environs, lorsque j'aperçois cette petite silhouette, tirant de longues tafs sur sa tige, ses doigts fins habillés de grosses bagues argentées.
Le regard perdu dans vide, son corps crispé par le froid.

J'ai bien une ou deux idées pour la réchauffer.

Je remarque ses yeux en amandes, étirés un peu plus d'un trait de liner noir. Les lumières de Noël se reflètent dans sa chevelure légèrement ondulée et lui donne une allure féerique... je reste là, un peu en arrière à l'observer à travers ma fumée.
Je dois avoir l'air d'un bon psychopathe.

Je suis toujours en train de la fixer lorsqu'elle tire sa dernière barre et se dirige vers le cendrier. Son regard remonte sur moi, elle a un petit temps d'arrêt et la surprise se lit dans ses iris ambres. Elle plonge juste un instant ses yeux dans les miens et je vois cette petite fossette creuser sa joue. Cela dure à peine une seconde, mais mon cœur fait un bond, ma respiration s'accélère et mes mains tremblent.

Wow wow wow putain, reprends-toi mec, on dirait un pauvre puceau bordel.

Au moment où elle m'effleure pour écraser sa cigarette, une délicieuse effluve orientale atteint mes narines, et là... je reste figé, planté comme un con, mes lèvres ne bougent pas, je suis incapable d'émettre le moindre son...
La porte du bar se referme, voilà elle est rentrée.

Je secoue la tête, blasé de moi-même, écrase ma clope et part retrouver mon compère.

À mon arrivée, il lève les yeux de son portable et me dit :

– Alors ?

– Alors quoi ?

– T'as son numéro ?

– Non, elle discutait au téléphone, j'ai pas pu l'aborder.
Comment ne pas perdre la face volume 1.

–  Ah ben, c'est sûr que c'est plus simple d'accoster des meufs en boite en se lançant dans des collés serrés, se marre-t-il.

Ok, il a vu clair dans mon jeu.

– Je ne partirai pas d'ici sans son numéro, tu verras !

Je réponds un peu piqué dans ma fierté et persuadé que ne peux pas passer à côté de cette nana.

– Sinon c'est moi qui lui demande ! Je lui montrerais bien mon déhanché !
dit-il en faisant le malin sur sa chaise.

Alors là putain j'ai pas du tout, mais alors pas du tout envie de rire, qu'est ce qui m'arrive, bordel !!! Ça ne me dérange pas habituellement de
« chasser la même proie » que mon pote, on attaque... et que le meilleur gagne, mais là....

– Oh Axel ! C'est bon détend toi, je plane ! Par contre si tu veux lui parler mec faut te bouger, elles se cassent !

Putain, ni une ni deux je ne prends pas le temps de réfléchir, je bondis de ma chaise. Je me dirige vers sa table et croise encore son regard, cette fois ci elle ne baisse pas les yeux, elle reste en suspend une main au-dessus de son sac.

Lorsque j'arrive à sa hauteur, à nouveau son parfum titille mes narines. Sa copine me lance un regard amusé.

– Euh... salut, désolé.... Moi, c'est Axel, j'ai pas trop l'habitude de faire çà ....

Oh le cliché mec, t'avais pas mieux en stock ?? Ouais ben, c'est bon hein on fait comme on peut !

Je reprends en essayant d'avoir l'air détendus :

– Mais j'aimerais beaucoup t'inviter à boire un café à l'occase?!

Elle regarde son amie, hésite un instant, puis se tourne vers moi avec un petit sourire timide.
Retour de la fossette, retour de mon palpitant.

– OK, pourquoi pas.

Elle fouille dans son sac et griffonne sur un papier, qu'elle me tend :

– Tiens, c'est mon numéro.

Danse de la joie et tout ce que tu veux.
Je lui fais le sourire le plus séducteur que j'ai en stock et souhaite une bonne soirée aux deux jeunes femmes puis retourne vers Nico.

J'attends qu'elles franchissent la porte et je déplie le bout de papier. Et là...
Déception, juste en dessous de son numéro, elle a écrit «Amalia».

– Tu tires une drôle de tronche, elle a oublié d'écrire un chiffre ? rigole mon pote.

– Non, mais elle ne m'a pas donné son vrai prénom, alors j'imagine que si j'envoie un message je vais tomber sur un Robert ou une Micheline.

Je froisse le bout de papier et le colle au fond de ma poche.

Je finis ma bière dépité...