Sapin

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Ça doit faire quelques mois maintenant que j'ai rejoint cette drôle de famille ou devrais-je dire cette bande de potes dont les aléa de la vie ont mené à leur colocation. Sean, un homme un peu bête mais au coeur d'or et John, grand professionnel du sarcasme ont réussi pendant une journée à s'entraider pour nous ramener le plus beau des sapins. Un vrai ! Pas ceux qu'on achète en pièces détachées ou les petits en plastiques proposés dans les supermarchés. Le nôtre respirait encore le bois de la forêt où il avait été coupé et ses épines étaient authentiques. Sean et moi y avions mis tout notre coeur pour le décorer comme il se doit sous le regard de Lewis qui écrivait ses quelques idées sur un bout de papier. Une fois terminé, la pièce rayonnait grâce aux guirlandes du magnifique roi des forêts. Je ne pouvais être plus heureuse. Tout était si parfait. Il ne manquait plus qu'à attendre Noël pour y glisser les cadeaux sur le tapis écossais que John avait trouvé en fouillant le grenier.

Malheureusement le soir du réveillon, alors que Sean mettait en place la machine à karaoké pour chanter les chants d'hiver les plus agaçants, une dispute éclata entre nos amis communs. Elle termina par deux claquages de portes qui firent trembler les murs. Lewis s'était rendu dans sa chambre et John avait quitté la maison sans une once d'explication à notre égard. Comme deux enfants qui venaient de voir leurs parents se disputer, on est restés assis dans le canapé à contempler notre sapin avec regrets. Sean s'amusait même à jouer avec l'une des boules qui avait glissé de sa branche. Cette année, il n'y aurait ni bonbon, ni joujou. Simplement quatre âmes en peine qui n'ouvriront pas leurs cadeaux sous le sapin. Soudain, une idée me vint. Personne ne savait où était John mais peut-être pouvions nous convaincre Lewis d'arrêter de bouder ? Mais à peine j'eus cette idée qu'il sortait à son tour de notre domicile. Je commençais à croire que notre sapin finirait bien seul, ce soir. Le cœur en miettes, je m'attaquai aux cookies.
- Noël est gâché...
Sean ne me répondit pas. Il se leva, alluma la machine à karaoké et choisit une chanson. Étonnée, je le regardai faire. Le voir prendre les initiatives me rendait curieuse. Bientôt, la douce voix de mon colocataire résonna dans tout le salon. C'était triste de ne pas partager ça avec le reste de la bande mais Sean chantait si bien. Il y mettait vraiment du sien. Après quelques chansons, il me proposa un duo que j'acceptai avec joie. Le sourire aux lèvres, nous chantions en jetant des yeux doux à notre chef-d'œuvre en bois, notre tendre public.

Plus tard, la porte d'entrée s'ouvrit sur les visages miséreux de Lewis et John. À en juger leur proximité, ils s'étaient réconciliés. J'avais même l'impression de lire de la culpabilité dans leur regard. Pourtant, on ne leur reprocha rien. Au contraire, on arrêta notre musique actuelle pour commencer à chanter "Mon grand sapin". John se mit alors à sourire en versant des larmes. Ces derniers jours avaient été dur pour lui. Il me confiait souvent à quel point il avait honte d'être parfois aussi insupportable. Mais ce soir-la rien n'aurait pu gâcher notre premier Noël. Les garçons nous rejoignirent pour terminer le chant en beauté. Ils se prêtèrent même au jeu de drague de notre roi de la fête. Une fois la chanson fini, on a fait l'impasse sur le début de la soirée. On s'est simplement assis ou allongés selon nos préférences sous le sapin. On a refait le monde autour de boules de Noël, de décorations étranges, nos visages illuminés par les simples guirlandes. Puis, on a évidemment ouvert nos cadeaux entre embrassades, câlins ou paroles timides. À la fin, on a tous levés nos yeux vers le sapin. C'était amusant de s'y trouver dessous comme des enfants.

- Et si on l'appelait Sam ? proposa Sean.
- Parce que les deux premières lettres sont les mêmes que sapin ? hasarda John.
- On s'en fout du pourquoi, dit Lewis. Sam, ça me va.
- Et bien, je crois que le plus beau cadeau qu'on pourrait faire à Sam c'est le replanter demain, non ? se demanda Sean.
- Pitié non ! s'écria John qui se rappelait certainement de la galère qu'il avait subit en le ramenant ici.

Le lendemain, le sapin fut quand même replanté par nos soins à tous. Sam avait toujours aussi fière allure mais je regrettais un peu nos décorations. Au fond de moi-même, j'espérais que ce soit avec lui qu'on passe Noël l'année prochaine parce que de tous les réveillons, celui que j'ai passé en compagnie de ces trois tarés était mon préféré.

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