Pour la plupart des gens, Noël est l'une des fêtes qu'il ne faut pas louper. Il faut un grand repas, des beaux cadeaux, une tonne de décorations et la famille au complet. Ce n'était pas le cas d'Ivy. Un soir de réveillon, elle s'était rendue dans un bar et avait fait la connaissance de Satine, une jolie latino-américaine qui passait la soirée avec deux de ses amies. C'est ainsi qu'Ivy rencontra Reva et Poppy. Le courant passa merveilleusement bien. Toutes les quatre avaient un point commun inimaginable, elles détestaient Noël. Depuis, elles ne s'étaient plus quittées. La solidarité entre copines était la valeur même de leur groupe. Chaque 24 et 25 décembre, elles bannissaient le nom de cette fête minable et l'avait rebaptisée "Journée du Chocolat chaud". Année après année, tour à tour, elles s'invitaient les unes chez les autres autour de bonnes tasses de ce délicieux nectar et se moquaient de leurs voisins qui passaient des heures derrière les fourneaux. Ivy adorait ses soirées. Mais elle était loin d'imaginer ce qui lui arriverait cette année.
Tout commença en février. Satine n'arrêtait pas de parler de son nouveau petit-ami, Zack. Les filles avaient été heureuses pour elle. Il avait l'air d'un type bien, romantique et surtout, il supportait le vilain caractère de la jeune femme. Alors, le petit groupe ne fût pas surpris qu'elle soit de moins en moins disponible. Leur couple était tellement mignon à voir que la pauvre Reva désespérait de vivre une telle histoire d'amour.
Son souhait se réalisa en juillet de la même année. Durant ses vacances, elle avait rencontré Erik, un beau blond aux yeux bleus qui l'avait fait craquer en un regard. Ivy avait d'ailleurs eu droit à des tonnes de mails sur la description des yeux du jeune homme. Elle avait été à deux doigts de les identifier comme courriers indésirables. En octobre, la question se posa alors sur le déroulement de la journée du chocolat chaud. Pour Satine et Reva, il était clair qu'elles ne seraient pas de la partie. Heureusement, il y avait toujours Poppy. Ivy lui affirma que leur soirée aurait lieu dans son nouvel appartement et qu'elle n'attendait de son amie qu'une chose, ses délicieuses pâtisseries.Le soir du réveillon, Ivy avait tout préparé. Les couvertures, quelques films ou séries et surtout, des jumelles pour espionner les voisins. Ne manquait plus que le chocolat chaud qu'elle ferait évidemment plus tard. Son téléphone sonna soudain. Elle le prit, le sourire aux lèvres et décrocha après quelques secondes.
- Allô ? fit-elle.
- Hey... C'est Poppy.
- J'allais justement t'appeler, je m'inquiétais.
- À ce propos... Tu te rappelle de Mikaïl que j'ai rencontré à mon séminaire le mois passé ?
- Oui. Tu disais que c'était un crétin fini.
- Et bien... J'ai eu tord. Il m'a proposé de passer Noël avec lui et j'ai accepté. Il a une grande famille et je n'ai jamais eu la chance de connaître ça...Ivy n'en revenait pas.
- Pourquoi tu ne m'as pas dit ça plus tôt ?
- C'était pas si simple...
- Si ça l'était, Poppy ! s'énerva-t-elle. La preuve, tu viens de le faire alors que notre soirée aurait dû commencer depuis dix minutes !Elle raccrocha et jeta son téléphone violemment dans le canapé. Satané Poppy. Son côté cruche était si agaçant parfois. Voilà qu'elle se retrouvait maintenant seule. Tant pis, elle se ferait une super soirée toute seule.
L'appel du chocolat la poussa à préparer le délicieux nectar plus tôt que prévu. Ivy aimait particulièrement celui préparé à la casserole. C'était beaucoup plus gratifiant que mettre de la simple poudre dans une tasse de lait. Elle alluma sa gazinière mais celle-ci fit un gros bruit. La jeune femme sursauta et n'osa même pas retenter l'expérience. Cette soirée était-elle vouée à être une véritable catastrophe ? Ivy fit les cent pas. Hors de question que ça arrive, elle devait avoir lieu. Pour son propre bien. Son chocolat chaud, c'était sa victoire face à une année pourrie. Elle le méritait. Elle devait déjà faire une croix sur les pâtisseries de Poppy mais sur sa boisson chaude, c'était impensable. D'un pas décidé, elle sortit de l'appartement et toqua chez son voisin. Ivy ne le dérangerait pas bien longtemps, juste l'instant de réchauffer l'objet de son bonheur. La porte ne tarda pas à s'ouvrir sur un charmant jeune homme doté d'un bonnet de Noël et qui portait un plateau de cookies dans ses mains.
- Joyeux Noël !
Ivy resta clouée sur place. D'habitude, elle aurait répliqué quelque chose du genre : "C'est demain, Noël." mais les décorations derrière son voisin l'avait laissé sans voix. Son appartement était décoré du sol au plafond, pas un espace n'avait survécu à la tornade de guirlandes qui avaient ravagé le salon. Ivy regretta de ne pas avoir été voir le petit vieux du deuxième.
- Vous êtes la dernière arrivée en date, non ? Ivy, si je ne me trompe pas. Je m'appelle Joey. Vous voulez un cookie.
La jeune femme prit un temps avant de répondre.
- N-Non merci. Ma gazinière vient de me lâcher et j'aimerais juste me faire un chocolat chaud. Je peux vous emprunter la vôtre.
- Bien sûr.
- Je vais simplement aller chercher mon-...
- J'ai ce qu'il faut, la coupa-t-elle.Ne se voyant pas protester devant un parfait inconnu, Ivy entra et prit sur elle pour ne pas vomir devant le sapin de Noël.
- Vous n'êtes pas avec votre famille ? demanda le jeune homme en allumant une de ses plaques.
- Vous non plus.
- Mes parents sont en voyage et je suis fils unique. Mais j'aime beaucoup Noël alors j'en fais profiter l'immeuble.Son sourire fit presque sentir Ivy coupable de détester cette fête. Presque. Il faut être taré pour décorer son appartement de la sorte.
- Et vous ? Pourquoi êtes-vous seule ? insista le jeune homme.
- Mes copines m'ont lâchée.
- Je suis désolé pour vous.
- On peut éviter d'être aussi formel ?
- Bien. Je suis désolé pour toi, dans ce cas.Ça faisait du bien à entendre ou alors c'était d'avoir de la compagnie. Dans les deux cas, Ivy n'était plus aussi sûre qu'une tasse fumante suffirait à la consoler. Elle détestait Noël parce qu'elle était toujours seule. Ces dernières années lui avaient laissée croire le contraire à travers une fête inventée ridicule. Au final, le résultat était le même. Une larme coula sur sa joue lorsqu'elle sentit non pas une tasse mais un bol entre ses mains. Elle leva la tête vers Joey qui lui tendit un bout de pain.
- T'es pas obligée d'en prendre mais j'aime assez en tremper dans mon chocolat chaud. À tous les coups, je m'en mets partout. Exceptionnellement, je te laisserai te moquer de moi.
Il humidifia son morceau de pain dans son bol, l'amena à ses lèvres et en mit effectivement partout à cause de la mie mouillée bien trop gonflée. Ivy sourit. Elle tenta de faire la même chose et subit le même sort. Pire, elle avait lâché le reste de son pain dans le bol éclaboussant le plan de travail. Satine aurait trouvé ça dégoûtant. La propreté c'était son dada. Pourtant, Ivy n'en avait rien à faire. Cette année, elle passait sa journée chocolat chaud avec Joey et cela lui suffisait. D'ailleurs de toute les soirées, ce fût la meilleure. Leurs deux âmes solitaires s'étaient retrouvées autour d'une boisson fumante et ne se quittèrent plus jamais.
Ivy s'autorisa à reprononcer "Noël". Malgré tout, elle n'abandonna pas ses vieilles habitudes. À la place de la bûche traditionnelle, les deux amis préféraient préparer leur propre chocolat chaud. Une année, Joey ne prépara qu'une tasse et cacha quelque chose derrière son dos. Il avait l'air nerveux ce qui n'était pas dans ses habitudes. Ivy le regarda un peu surprise.
- Tout va bien ?
- Oui, je... J'aimerais... Je suis pas doué pour ce genre de truc.Il sortit deux pailles de derrière son dos.
- Tu... aimerais sortir avec moi ? avoua-t-il enfin.
La jeune femme lui sourit et posa les deux pailles dans la tasse.
- Seulement si tu me ramènes du pain.
Joey sourit à son tour. Il se précipita le chercher dans la cuisine sous le regard amusé de sa nouvelle petite-amie. Lorsqu'il revint s'asseoir auprès d'elle, le jeune homme eut droit à un baiser sucrée de sa voisine.
- T'as bu pendant que j'étais parti ?
- Non ?
- Alors pourquoi tes lèvres sont sucrées ?
- Elles le sont toujours !
- Dis ça à la paille qui n'a pas encore descendu ton crime.
- Et bien si c'est comme ça, tu n'en auras pas.
- C'est très immature et insultant.Joey tenta de récupérer la tasse mais Ivy l'en empêcha par tous les moyens. Dans la bagarre, il reçut même une boule de Noël sur la tête. Peinée, la jeune femme lui donna le chocolat chaud en signe de paix.
- J'avais même pas mal, avoua-t-il.
- Profite alors parce que je vais te les faire manger tes guirlandes ridicules.