Plats de Noël

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Ma famille est très chrétienne. Elle accorde énormément d'importance aux traditions. Moi, j'avais perdu foi en notre Seigneur quand j'ai compris qu'il ne guérissait pas les malades, n'aidait pas les miséreux mais laissait de riches crétins avoir tout ce qu'il voulait. Mon père avait tenté tant bien que mal de me faire comprendre que c'était à nous d'accomplir la volonté du tout-puissant. Je n'avais même pas pris la peine de l'écouter attentivement. Pourquoi prier un dieu s'il ne nous vient jamais véritablement en aide ? Allez dire à un enfant battu que le Seigneur reste à ses côtés. Il vous répondra simplement qu'il aimerait un autre foyer. Prier ne diminuera pas la douleur des coups.

- Il manque une assiette tonton, remarqua ma nièce.

Je recomptai afin d'en être sûr.

- Papy, mamy, maman, papa, ton frère, toi et moi. Le compte est bon.
- Et Elie ?

Je soupirai. Évidemment, j'avais oublié Elie et ça allait encore me retomber dessus. Pourquoi avais-je décidé d'organiser le grand repas chez moi ? Ma sœur, Sarah, entra pile à ce moment là dans la salle à manger.

- Maman, tonton a oublié Elie.
- Ce n'est pas grave ma chérie, va demander à papy de trouver une assiette et des couverts en plus.

Ma nièce repartit aussitôt dans la cuisine tandis que le regard de ma cadette se voulut dur.

- Je sais que ça t'ennuie ce genre de choses mais tu pourrais au moins faire un effort, Patrick.
- J'ai pas fait exprès, je t'assure.
- Si nous on a la maturité de comprendre, ce n'est pas le cas des enfants. Tu sais pas le mal que ça me fait de devoir les rassurer en leur disant que ne pas croire en dieu ne veut pas forcément dire aller en enfer. Ils ont peur pour toi !
- Ok, ok. Je ferais gaffe.
- Merci. Maman s'occupe de la dinde et Jake des pommes de terre. On ne va pas tarder à manger. Oh ! Papa aimerait que tu mettes la messe à la télé.
- Ça marche.

Je n'attendis pas une seconde pour m'exécuter sous peine de paraître encore plus dérangeant. C'était déjà assez bizarre de ne pas réussir à mettre un pied dans ma propre cuisine. À vrai dire, la soirée était telle que mes vieux travers m'appelaient en force. Le paquet de cigarettes qui dépassait d'une des poches de la veste de mon beau-frère me criait d'en griller une. Je luttais intérieurement pour ne pas céder à la tentation. J'imagine que ça l'aurait bien fait rire là-haut s'il existait. Le mal n'allait pas tarder à prendre possession de moi si ma famille ne choisit pas cet instant pour tous débarquer en même temps.

- À table tout le monde, annonça ma mère joyeuse.

Ma nièce plaça une nouvelle assiette à côté de moi puis se précipita se mettre à table. Une fois tous installés, nous nous prîmes les mains et mon père entama l'un des nombreux chants religieux qu'il m'avait appris petit. Je lâchai un léger soupir qui me valut un coup de pied de ma sœur.

- Avant que nous nous attaquions à ce magnifique repas préparé par vos petites mains, j'aimerais remercier le Seigneur de tous nous avoir réunis ce soir et de nous avoir gardé en bonne santé. Je remercie également Patrick qui nous a accueilli ce soir et je souhaite que le plus de personnes sur cette terre puisse profiter d'un moment précieux en famille. Amen.
- Amen ! s'exclamèrent-ils tous en choeur.

Mon neveu, Jake, me regarda interrogateur. Le fait que mes lèvres n'aient pas bougé le perturbait.

- Amen, lui dis-je en souriant.

Il sourit à son tour et s'attaqua aux pommes de terre. De mon côté, je salivai sur la dinde mais quelqu'un sonna alors à la porte. Je me levai afin de savoir de qui il s'agissait. Un soir de Noël, ce n'était pas courant. J'ouvris la porte et vis une jeune femme brune frigorifiée et couverte de neige.

- Excusez-moi de vous déranger mais ma voiture est tombée en panne.
- C'est Elie, hurla ma nièce depuis le living.

Je fis signe à ma sœur que je gérais et pris ma veste avant de sortir.

- Vous avez réussi à la dégager de la route ?
- Elle est sur le bas-côté à quelques mètres.
- Je vais la ramener ici avec mon pick-up. Vous habitez loin ?
- Assez.
- Vous voulez peut-être passer un coup de fil ?
- Personne ne m'attend.
- Owh...
- Ne vous en faites pas.

Un peu peiné pour elle, je me dirigeai vers mon pick-up en sa compagnie.

- Je m'appelle Patrick.
- Amy, enchantée.

Comme elle me l'avait indiqué, sa voiture se trouvait à quelques mètres. Je descendis de mon véhicule et commençai à attacher le treuil. 

- Je ne suis pas mécanicien mais vous pouvez toujours attendre une dépanneuse au chaud, chez moi.
- Ce serait parfait, merci.

Je me redressai et la regardai.

- Vous croyez en dieu ? je demande.
- Par intermittence, quand ça m'arrange. Pourquoi, vous y croyez ?
- Oh non, je dis en vérifiant que tout est bien en place. Mais ma famille oui alors... Si vous pouviez... pas forcément faire semblant d'y croire mais au moins... Être compréhensive vis à vis des enfants.
- Bien sûr.

Nous retournâmes à la maison où nos voitures furent garées dans l'allée. Avant que je n'ouvre la porte, je me retournai vers Amy qui me regarda étonnée.

- Oui ? se demanda-t-elle.
- Vous voulez dîner avec nous ?
- Ah... Euh... Je ne crois pas...
- Il y a déjà un couvert posé sur la table et l'attente sera plus agréable en bonne compagnie.

Elle hésita un instant puis hocha la tête.

Lorsque nous rejoignîmes la salle à manger, tout le monde accueilla Amy avec joie. Ma soeur nous servit nos assiettes puis ses petits monstres qui n'attendaient que ça depuis mon départ.

Je ne savais pas comment expliquer ça mais aux côtés de mon invitée surprise, rien n'avait vraiment d'importance. Je n'avais pas envie de me plaindre du seul morceau de dinde cru que j'avais hérité ou des pommes de terre trop cuites. Discuter avec elle était si agréable que j'en oubliais même le dessert.

- Patrick ? Où est la bûche ?
- Ah oui, désolé.

Après un rapide aller-retour de mon pick-up à la maison puis de ma cuisine au living, la table fût couverte de desserts au goût de chacun. Des crêpes pour mes parents, des pains d'épices pour mes neveux, des petits pains bien chaud pour David et Sarah et la bûche à partager en famille.

- C'est quoi votre péché mignon ? je demandai à Amy.
- J'ai une préférence pour la bûche.
- Vous êtes aussi peu original que moi !

Nous éclatâmes de rire. Je n'avais jamais été aussi heureux d'être banal et mon dessert n'avait jamais été aussi délicieux.

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