Magie de Noël

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Un certificat de naissance pouvait-il vraiment être porteur de telles conséquences ? Corwynn était né le 5 novembre 2032 dans de parfaites conditions. Ses parents l'avaient chéri dès qu'ils avaient posé leur regard sur le nourrisson aux yeux bleus comme ils l'avaient désiré. Ils ne se rendaient même pas compte de l'enfer que vivrait leur fils adoré.

Le couple avait fait appel à un laboratoire pharmaceutique qui exerçait des modifications génétiques sur les embryons. Malheureusement pour eux, cette année là fut un échec total. Lui et un millier d'autres enfants souffriraient de ce qui s'apparentait le plus à de la bipolarité poussée à son extrême. Plus tard, le pauvre Corwynn verrait l'ampleur de ses dégâts en perdant ses parents dans une fusillade menée par un enfant de son âge, six ans. Le début d'une vie déjà condamné.

Dans la cité, 2032 résonnait interdit. Personne ne voulait embauché un danger public aussi compétent soit-il. Que faire quand personne n'estime que vous avez de la valeur ?  Corwynn ne put qu'aider son grand-père à la clinique vétérinaire. Puisqu'aucune société ne voulait de ses facultés informatiques, il s'occupait des animaux malades dans la limite de ses moyens. Il passait d'assistant à secrétaire, de secrétaire à homme à tout faire et d'homme à tout faire à chanteur amateur. Malheureusement, après minuit le seul public se résumait aux animaux qu'il nourrissait quand ceux-ci étaient obligés de passer la nuit à la clinique. Si on l'avait laissé rejoindre le club de théâtre à l'école, peut-être aurait-on remarqué son talent lors de la comédie musicale organisée pour les portes ouvertes. Il aurait tapé dans l'oeil du père de son voisin de classe qui le piquait en math avec son compas comme s'il n'était qu'une bête de foire. On lui aurait proposé de chanter les derniers tubes modernes et il aurait écrit des morceaux sur la jolie blonde sympa du cours d'histoire. Il aurait dès lors pu envisager une carrière . Le nom "Corwynn Crews" aurait terminé sur un album plutôt que sur un CV poussiéreux inutile.

Corwynn trafiquait l'ordinateur de la réception quand un homme rentra avec son chien. Il portait un costume très chic. Ses cheveux étaient impeccablement peignés et sa barbe parfaitement taillée. Son berger allemand, lui, semblait mal en point. Il avait la tête basse et clopinait près de son maître.

- Vous aviez rendez-vous ? demanda Corwynn.
- Non.
- Alors je suis désolé, vous allez devoir patienter. Monsieur Crews a une opération à mener dans quelques minutes et si vous n'êtes pas la personne qui a pris rendez-vous juste avant je ne peux rien faire pour vous.
- Alors dis-lui que c'est urgent.

Le cerveau de Corwynn commençait à en faire des siennes. Il n'arrivait pas à se forcer d'être courtois.

- Assez urgent pour vous faire un brushing au salon d'à côté ?

L'homme d'affaires attrapa Corwynn par le col.

- Écoute-moi bien sac à merde. Si tu veux que tout se passe bien, fais ce que je te dis.
- C'est marrant, j'allais te dire la même chose.
- Ça suffit ! hurla une voix.

Corwynn reconnut son grand-père. Celui-ci examina rapidement le chien puis regarda son client.

- Je ne pourrais pas m'en occuper tout de suite mais vous pouvez le laisser ici pour la nuit. Je vous appellerai quand tout sera réglé et vous ferai un tarif réduit si vous oubliez ce qui vient de se passer.

L'homme ne répondit pas et donna la laisse au vétérinaire avant de lancer une carte de visite au le visage du secrétaire. Une fois qu'il fut sortit, Corwynn regarda son grand-père.

- Désolé.
- On en rediscutera ce soir. D'ici là, fais de ton mieux pour te contrôler. Pas besoin d'un nouveau drame.

Il tourna les talons laissant son petit-fils seul avec ses pensées. Corwynn en avait marre de s'écraser. Pourquoi des types comme ça avait le droit d'exister et pas lui ?

À la nuit tombée, il fit son tour habituel. Le jeune homme essaya de nourrir le chien arrivé dans l'après-midi mais il refusait de sortir de sa cage. Ça faisait peine à voir, la pauvre bête était recroquevillée sur elle-même. Corwynn s'éloigna en laissant le bol à proximité de sa niche de fortune. Il rangea le matériel médical inutilisé et jeta les seringues qui traînaient. À un moment, il aperçut le chien se dirigeait vers la nourriture. Cependant, il retourna au fond de sa cage lorsque Corwynn rattrapa de justesse une caisse qui tombait de l'armoire. Il jura en la remettant en place et alla chercher la serpillière pour commencer à nettoyer. Il s'occupa d'abord de la salle d'attente. Le calme qui y régnait l'ennuyait fortement. D'habitude, il écoutait de la musique mais le baffle avait lâché la semaine dernière et il n'avait pas encore trouvé le temps de le réparer. Afin de combler le silence, il se mit donc à chantonner un air qu'il connaissait. Ses mouvements suivaient le rythme de la mélodie qui au fur et à mesure prenait pleine possession du corps du jeune homme. Le sol n'était même pas terminé qu'il chantait maintenant à plein poumon, dansait et se servait de la serpillière comme d'un micro. En concert, le public aurait trouvé l'ensemble incroyable. Corwynn s'amusait tellement qu'il ne vit même pas que le chien l'avait rejoint. Il s'était posé près des chaises et regardait ce drôle d'homme dont la voix apaisait ses oreilles. S'il en avait l'énergie, il aurait sauté à ses côtés comme il le faisait autrefois. Il était si fatigué de se faire crier dessus en permanence sans savoir pourquoi. Il ne faisait rien de mal, il cherchait simplement un ami avec qui jouer. Le berger releva la tête et aboya. Corwynn s'arrêta net. Il remarqua enfin la présence du chien. En douceur, il s'agenouilla devant lui.

- Kona ? lut-il sur son médaillon. C'est original. Peut-être la seule bonne décision qu'a pris ton maître dans sa vie.

Kona posa sa tête sur les jambes du jeune homme et ferma les yeux. Ce dernier ne bougea pas caressant l'animal avec une tendresse qu'il n'avait plus connu depuis longtemps. Il sentit sa maigreur, vit les traces des coups et brûlures qu'on lui avait infligés.

- Toi aussi, t'es un mauvais garçon ?

Le chien couina.

- Je sais que c'est faux... Les gens ne veulent jamais voir plus loin que le bout de leur nez.

Lentement, Kona se releva et observa Corwynn. En un simple regard, ils avaient compris. "Ne me quitte pas et je te serai fidèle."

- Ok... J'ai un plan pour ça.

Le lendemain, l'homme revint à la clinique son téléphone à l'oreille. Il regarda Corwynn avec dédain et se pencha à nouveau sur son portable.

- Où est mon chien ?
- Mort.

L'homme leva ses yeux de son écran.

- Pardon ?
- Vous avez bien entendu. Il est décédé cette nuit suite à ses blessures. Monsieur Crews a tout tenté en vain. Vous y avez été trop fort cette fois.

Le visage du client se décomposa. Ça ne pouvait pas être possible.

- Ça ne se joue à pas grand-chose parfois. Je vous souhaite tout de même un Joyeux Noël. 

L'homme d'affaires allait répliquer mais il se ravisa et sortit de la clinique en criant "Gardez son corps !". Corwynn déchira la carte de visite. Ça lui fit un bien fou de la jeter à la poubelle. Il se rendit ensuite dans l'appartement situé au-dessus de la clinique. En ouvrant la porte, il vit Kona sous le sapin en train de jouer avec une peluche spéciale pour chien.

- Tu l'aimes ?

Le chien abandonna son jouet pour rejoindre le jeune homme qui s'agenouilla en le voyant venir.

- Il te fera plus de mal, brave bête.

Kona aboya et lécha la joue de son nouveau propriétaire.

- Joyeux Noël, Kona.

Ethan monta à son tour à l'appartement. Il fut surpris d'y voir son petit-fils chantant entre deux jappements joyeux de chien. Il n'osait pas s'imaginer ce que Corwynn avait encore fait. Pourtant, en regardant la scène, il ne pouvait s'empêcher de penser que ce n'était pas une coïncidence si ces deux là s'étaient trouvé dans leur malheur.

Pouvait-on parlé de magie de Noël ?

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