15: La voleuse de cookies tue ses parents

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   Replonger dans des souvenirs douloureux n'avait jamais été réputé pour être une partie de plaisir. C'était un peu une sorte d'oxymore. Ça nous étripait le cœur et les entrailles tout en évacuant cette noirceur qui assombrissait nos pensées. Un mal salutaire, en quelque sorte. Éliminer le sang infecté pour que la plaie se referme. Il resterait une cicatrice, sans aucun doute, mais c'était nécessaire pour que je ne l'oublie pas.

   C'était sincèrement horrible de devoir face à ses amis qui blêmissaient au fur et à mesure de l'avancée de mon récit. Qui aurait pu leur en vouloir? C'était de toute évidence la réaction la plus appropriée quand on écoutait les paroles d'une meurtrière.

   Je me souvenais de cet événement qui avait bouleversé mon existence comme si je l'avais vécu la veille. Tout était gravé au fer rouge dans ma mémoire. Les moindres petits détails étaient encore inscrits dans mes sens. Le froid sous mes pieds, l'odeur carbonisée mêlée à celle putride du sang, le bruit de la ville au loin qui continuait à vivre dans l'ignorance de la monstruosité de ce que je venais de vivre, les larmes sur mes joues, le vent jouant avec mes cheveux. Tout était resté intact dans mes souvenirs. Même ce petit garçon avec lequel j'avais juste voulu jouer.

   Son visage n'avait rien à envier. C'était sûrement la risée de tous les autres garçons dans son école. Un nez de travers, des cheveux tellement bien peignés sur le côté qu'on en voyait son crâne pâle et sans couleur et une bouche mince qui cachait des dents en désordre mais blanches. Ses vêtements composés de tissus riches et précieux possédaient cette couleur si morne qui correspondait à son teint. Posé en boule, au coin du parc du quartier, ce fut de cette façon que je rencontrai pour la première fois un sorcier, en me baladant gaiement dans les rues de mon village sous l'interdiction formelle de mes parents.

   J'avais décidé, ce jour-là, d'être une véritable tête de mule et de n'en faire qu'à ma tête. Je courais en riant à gorge déployée sur le bitume chauffé par le soleil de la route. C'était une rue avec un cul-de-sac, personne sauf des voisins ne s'aventurait dans cette ruelle aux maisons blanches avec leur jardin vert et couvert de fleurs. On était en été, j'avais de ce fait un simple tee-shirt et un short déchiré qui descendait jusqu'au dessus de mes genoux écorchés. Étant capable d'une maladresse très rare, mes jambes n'avaient jamais été gâtées et avaient toujours été couvertes de bleus ou de blessures en tout genre.

   J'étais l'enfant la plus normale du monde et la plus heureuse sur cette planète. J'avais un père qui jouait de la guitare, la musique de ses notes emplissant la maison et me faisant danser en tapant des mains. J'étais insouciante de tout et ma mère me faisait encore des cadeaux, comme ces boucles d'oreille que je portais maintenant tous les jours. Deux simples points gris et brillants, rien de bien excentrique.

   Ce jour-là, je les portais pour la première fois. J'étais très fière de ne pas avoir pleuré quand on m'avait percé les oreilles.

   Mes pieds foulant le sol à une vitesse effrénée, j'avais l'impression de voler parmi les herbes folles qui poussaient depuis la nuit des temps dans les rigoles bordant la rue de notre maison. Malgré ma punition pour avoir volé des cookies dans ma chambre, je m'étais échappée telle une fugitive hâtivement recherchée. Ma cachette résidait dans le parc au bout de la rue.

   Il n'y avait rien de très incroyable dans ce parc. Un toboggan, deux balançoires et un banc pour deux personnes. Des talus d'herbe offraient cependant la chance de se cacher et de faire tourner en bourrique les parents quand on ne voulait pas rentrer à la maison.

   C'était là que je l'avais rencontré, ce garçon si étrangement vêtu pour un été aussi chaud. Je me souvenais l'avoir d'abord entendu. J'étais arrivée avec un sourire qui devait faire trois fois le tour de mon visage, comblée à l'idée d'avoir atteint le parc sans que mes parents ne sortent de la maison pour me rappeler. Des bruits étranges m'étaient parvenus de l'entrée du terrain de jeu. Cela ressemblait fortement au bruit que je faisais quand je pleurais.

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