16: Un hiboux a griffé le plat de sandwiches

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   Il y avait tant de choses que j'aurais rêvé avoir l'occasion de réaliser: entreprendre un tour du monde, construire une bibliothèque plus grande encore que celle de Poudlard pour en faire ma maison, écrire un manuel sur les nouvelles créatures magiques qui apparaissaient toujours plus nombreuses, être marraine d'un petit garçon (parce que je ne voulais pas d'enfants, un Croup me suffirait), apprendre à aimer le café parce que son odeur était déjà un délice, et rénover un vieux bâtiment pour en faire une chocolaterie pour sorciers et Moldus.

   Mes projets étaient fondés sur des bases qui s'étaient construites d'elles-mêmes avec le temps. Tout le monde avait déjà rédigé cette fameuse liste d'objectifs impossibles pour le futur. C'était le passage obligatoire de tout enfant ou adulte n'ayant pas la possibilité de s'offrir de telles chances de réussite.

   Certains accédaient pourtant à leur rêve grâce à des efforts inestimables et, avouons-le, énormément de chance. D'autres échouaient à la dernière ligne droite, s'écroulant à un mètre de l'arrivée. Des cas rarissimes persévéraient alors que tout leur prouvait qu'il n'y avait aucun espoir. Et les plus courants restaient étendus au sol, attendant désespérément que quelqu'un les remarque pour les relever et les pousser de force à continuer leur parcours.

   Je faisais partie de plusieurs catégories, comme tout le monde. Tout dépendait à chaque fois de mes humeurs et de ma force. Il ne fallait pas oublier mon habituel pessimisme qui freinait chacun de mes espoirs vains, comme un antagoniste de dessin-animé se positionnant avec un sourire amusé et secouant de droite à gauche son index devant le héros en signe de réprimande.

   L'espoir fou que je ne perdrais pas mes amis menait un combat inégal et perdu d'avance contre cette satanée logique qui me faisait pourtant parfois perdre la raison. Mon rêve le plus cher, en cet instant, résidait dans le fait de fermer les yeux et de m'enfuir le plus loin possible pour ne pas devoir affronter chacune de mes angoisses, une par une.

   Tous les détails inopportuns du plat qui avait contenu nos sandwiches m'étaient connus. Une légère griffure ornait son milieu, forgée par le bec indélicat et affamé du hibou glouton. Aucune miette n'avait survécu à l'assaut particulièrement vorace de l'oiseau nocturne. Les rebords du plat étaient fabriqués avec un simple métal argenté et méchamment agressé par les usures inéluctables du temps.

   Le silence s'attardait lourdement sur chacune de mes épaules, m'écrasant douloureusement les articulations et posant précairement ma patience sur un fil de funambule au-dessus d'un gouffre profond. Je n'allais pas pouvoir tenir de cette façon encore très longtemps. C'était insupportable. Je sentais le regard dubitatif de mes amis me percer les moindres pores de ma peau gelée à cause de l'averse. Je sentais tous mes muscles crispés à en trembler incontrôlablement, me promettant silencieusement que tout le monde devait déjà l'avoir aperçu sans mon consentement. Le froid, prenant parti contre moi, se permit de me faire frissonner avec un peu plus d'engouement. Génial, de quoi avais-je donc l'allure, avec mes cheveux détrempés et emmêlés, mes mains tremblantes et mon regard fuyant? Sûrement pas d'une véritable Gryffondor, le Choixpeau avait bien eu raison de ne pas m'y envoyer.

   Mes yeux n'osaient pas remonter de leur observation méticuleuse du parquet crotté, terrorisés à la simple idée de croiser un autre regard. Je refusais fermement tout contact visuel avec qui que ce soit, redoutant plus que de raison de comprendre les émotions qui animaient le visage de mes amis. Pourquoi ne disaient-ils rien, nom de Merlin?! Pourquoi ne criaient, ne riaient ou ne pleuraient-ils pas?! Ne recevoir aucune réaction était sans doute encore pire que s'ils s'étaient mis à me frapper ou que savais-je d'autre.

   Au prix d'un effort qui faillit me terrasser, je me risquai timidement à relever la tête pour comprendre ce qui devait se dérouler dans leur cerveau. Après tout, ce ne devait pas être simple à digérer. Qu'aurais-je fait à leur place? Rien du tout, évidemment. Je n'avais aucune expérience concernant les paroles réconfortantes et rassurantes que l'on devait prononcer pour encourager un ami.

Vert & Argent?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant