Le soldat inconnu

Partie IV

Après sa conversation avec le Diable, Folker avait rôdé dans les rues de Messines. Il s'était rendu dans un café et avait noyé son chagrin et sa colère dans l'alcool. Il avait ensuite dormi dehors et ne s'était réveillé que vers midi, lorsque son ventre avait commencé à crier famine. Il avait alors déambulé dans les rues à la recherche d'une boulangerie. À travers le brouillard qui enveloppait son esprit, il entrevoyait les visages des passants. Leurs yeux paraissaient glisser sur lui sans le voir. Exactement comme quand Hilda m'a regardé, pensa-t-il. Dans les tranchées aussi, ses compagnons avaient semblé à peine le regarder. Depuis que le Diable lui avait volé son visage, c'était comme s'il était devenu invisible. Pourtant, il pouvait encore sentir ses yeux, son nez et sa bouche sous ses doigts. Il sentait encore la peau rugueuse et la barbe naissante qui avaient toujours été présentes. Il décida de tenter une expérience. Il trouva une maison qui avait l'air inoccupée et se planta devant une fenêtre. Il lui fallut quelques minutes pour oser lever les yeux. Quand il le fit enfin, ce qu'il vit l'horrifia. Il avait tout imaginé. Il était même persuadé de trouver du vide à la place de son visage. Dans son reflet, il contemplait bien une peau et des traits. Oui, il les contemplait, il les regardait. Mais il lui était impossible de les voir. Son regard passait sans être capable de capter ce à quoi il ressemblait. Il était devenu une personne quelconque, invisible. Il comprit que les gens pouvaient encore prendre conscience de sa présence, mais que personne ne pourrait plus jamais le reconnaître, juger sa beauté ou encore mettre un nom sur son visage. Son destin était pire que celui des gueules cassées. Sans visage, il n'était personne.