Folker continua à servir dans l'armée allemande jusqu'à l'armistice. Étonnamment, son doppëlganger en fit de même. Le soldat ne fut donc pas gratifié du statut de déserteur. En revanche, il lui devint impossible de servir sous son vrai nom, auprès de ses anciens compagnons. Nom d'emprunt après nom d'emprunt, il rejoignit différents corps d'armée, choisissant toujours les batailles qui s'annonçaient les plus dévastatrices. Il prenait des risques toujours plus grands, mais, personne n'étant capable de le reconnaître, il n'eut pas même la satisfaction d'obtenir une réputation de soldat téméraire ou imprudent.
Alors que les coquelicots commençaient à remplacer les taches écarlates laissées par le sang de ses compagnons morts au combat, Folker, désœuvré, ruminait sa vengeance de plus belle. Toujours mû par la haine, il suivait de près les progrès de Lucifer qui, sous ses traits, faisait son chemin en politique. Sans que Folker ne comprenne pourquoi, celui qui avait volé son visage n'avait pas voulu de son prénom. Au lieu de se faire appeler Folker, il avait opté pour le deuxième prénom du jeune homme.
Pendant de longs mois, Folker trouva peu de délits pour alimenter sa colère. Le Diable se contentait de vivre sa vie à sa place, tout en se montrant bien meilleur orateur et homme politique que le jeune homme aurait pu rêver l'être. Ce fut seulement en 1921 que le démon montra à nouveau sa vraie nature. Comme cela lui arrivait souvent, Folker errait dans les rues de son village natal, où sa famille vivait toujours. Il avait l'habitude d'éviter avec soin la maison familiale, afin de ne pas tomber nez à nez avec un bonheur dont lui seul savait qu'il était corrompu. Ce soir-là, pourtant, une intuition le poussa à se rapprocher de son ancienne rue. Bien vite, une odeur de brûlé vint lui titiller les narines et, d'instinct, l'angoisse lui enserra la poitrine. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que son ennemi diabolique n'était pas étranger à cette sensation.
Les pompiers ne purent rien contre le feu qui dévora le 4 Kälbersteinstraße. En revanche, ils furent efficaces pour écarter les passants du brasier, empêchant par la même occasion Folker de porter secours à ses proches. Le Diable avait apporté les flammes de l'Enfer sur Terre et les plaintes d'Hilda et Erik se mêlèrent aux cris des âmes damnées par l'ange déchu.
La rumeur laissait entendre que tous avaient péri dans l'incendie. Elle disait aussi que seuls deux corps carbonisés avaient été sortis des décombres. Un article de journal apprit rapidement à Folker qu'Eva n'avait pas subi le même sort que sa mère et son frère. Ce fut la photo accompagnant cet article qui attira l'attention du père de famille. Il y reconnut clairement sa fille, aux côtés d'un homme que le journaliste présentait comme son père. Folker en eut la nausée. Après son identité, c'était son rôle de père qui lui était dérobé.

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Le soldat inconnu
HororCertain que la prochaine bataille lui sera fatale, un soldat allemand passe un pacte avec le diable pour revoir sa famille une dernière fois. Lucifer accepte, mais ce qu'il exige comme monnaie d'échange n'a rien d'ordinaire : - "Daccord, mais en éc...