Partie VIII

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En cette fin des années 1920, alors que la crise touchait l'Allemagne de plein fouet, les hauts dignitaires invités à la réception semblaient attachés au luxe et à la frivolité des années folles. Dans un coin du grand salon où s'était réunie une cinquantaine de personnes, un orchestre de jazz animait la soirée. Partout, les gens discutaient d'affaires politiques ou de leur quotidien sans grand intérêt. Folker s'aperçut bien vite qu'un sujet revenait régulièrement dans les conversations qu'il épiait. Le nom d'Eva Braun était sur toutes les lèvres. Il se disait qu'elle allait venir à la réception au bras du Führer.

Lorsque sa fille fit son apparition, Folker fut subjugué. Il n'avait plus croisé sa route depuis plus de 15 ans. Quelle belle jeune femme elle était devenue ! Comme pour contredire la rumeur, elle était arrivée seule. Élégante et fière, elle avançait, au milieu de la foule dans laquelle flottait un chuchotement curieux. Elle se dirigea d'un pas décidé vers l'orchestre, le tissu de sa robe verte frottant sensuellement contre ses hanches oscillantes. Après avoir murmuré quelques mots dans l'oreille du guitariste, elle se dirigea vers le centre de la pièce. Elle se mit à danser au son de la musique que l'orchestre avait accepté de jouer pour elle. Alors, les convives eurent comme un sursaut de bienséance et cessèrent de la fixer. Quelques-uns se joignirent à Eva sur la piste de danse et la soirée reprit son cours.

Folker n'avait pas manqué une miette du spectacle. Il retrouvait sa fille, devenue femme. Il savait qu'il ne pourrait pas lui parler, que jamais elle ne croirait à son histoire s'il la lui racontait. Pourtant, il ne pouvait pas laisser passer cette occasion de partager un moment avec elle. Alors, il s'élança et lui vola quelques pas de swing. Il en profita pour passer furtivement sa main dans les boucles de ses cheveux, comme il le faisait quand elle était enfant. Il s'enivra de son odeur qui était restée telle que dans ses souvenirs. Quand elle dansait, Eva n'avait plus rien à voir avec la jeune femme voluptueuse qui avait attiré l'attention sur elle quelques instants plus tôt. Elle avait délaissé l'air joueur de la femme consciente de ses atouts pour celui de l'enfant qui s'émerveille de la beauté de la mélodie, des corps qui s'entrecroisent, des sourires qui s'offrent sans compter. Elle ressemblait davantage à la petite fille qu'elle était autrefois, libre, désinvolte, légère...

Lorsque les dernières notes de piano résonnèrent et que la basse entama de nouveaux accords, Eva se déroba à l'étreinte paternelle. Elle reprit son air digne et séducteur. Perchée sur ses escarpins, elle esquiva les danseurs avec une aisance surprenante et parvint à s'échapper avant que Folker ne récupère toute sa lucidité. Il fouilla toute la pièce à sa recherche, mais dut vite se rendre à l'évidence : elle était partie. Encore une fois, il l'avait perdue. Accablé, il s'éclipsa pour laisser libre cours au chagrin que ces quelques pas de danse avaient suffi à ranimer. Assis sur un escalier, il pleurait silencieusement. Il était là depuis quelques minutes lorsqu'il discerna le bruit étouffé de pas descendant les marches recouvertes d'un velours rouge sombre. Un réflexe le poussa à se cacher dans le renfoncement sous l'escalier. Il assista alors à une discussion qui lui donna le vertige.

Le soldat inconnuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant