Partie 2. 2 - Naissance d'une Ere

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Deux jours plus tard, dans cette grande maison si singulière, un cri étranglé par les pleurs et la joie retentit aux petites lueurs de l'aube. La nuit venait juste de se coucher, le soleil teintait le monde de ses premiers rayons roses et cachait les premières étoiles. C'était un moment paisible, entre chien et loup, lorsqu'on ne peut reconnaître ami d'ennemi ni perte de victoire.

Elfman arracha la porte de la chambre d'Anna de ses gongs dans sa hâte de la protéger du danger, Mirajane seulement un pas derrière lui. Le vacarme réveilla plusieurs au sommeil léger, des enfants, adolescents et deux adultes sortant de leur chambre, yeux gonflés par le sommeil mais inquiets. Ils se souvenaient de la dernière fois qu'il y avait eu de l'agitation autour d'eux, trois mois auparavant. Ils n'étaient pas prêts pour un autre événement de ce genre. Evergreen prit sur elle pour s'occuper des plus jeunes dont les larmes débordaient déjà malgré la curiosité et l'inquiétude qui la rongeait.

Dans la chambre, recroquevillée sur son lit, les larmes d'Anna tombaient sur un objet que ses mains dissimulaient à la vue des spectateurs. Voyant qu'aucun mal physique n'avait été fait, Elfman laissa la place à son aînée et se retira auprès de sa femme pour rassurer les Etoiles inquiètes. Mirajane s'accroupit à la tête du lit et repoussa délicatement les mèches blondes collées au visage d'Anna par la sueur et les pleurs. Son regard clair effleura sa poigne crispée autour de l'objet mais ne put distinguer autre chose qu'un éclat doré avant de retourner sur le visage d'Anna. Elle avait fermé les yeux, sanglotait, mais ses lèvres étaient étirées dans une sorte de sourire. Elle fronça les sourcils.

« Anna ? » Un sanglot, encore. « Anna, qu'y a-t-il ? » La jeune fille secoua la tête, se recroquevilla encore plus autour de l'objet, et Mirajane retint un son de déplaisir sur le bout de ses lèvres. Elle prit un ton réconfortant à la place, espérant la sortir de son état de détresse pour la mener à parler. « Laisse-nous t'aider, petite Etoile. Pleurer ainsi ne te fera aucun bien. »

A force de cajoleries murmurées et caresses légères, Anna finit par se calmer. Mirajane la regarda patiemment, puisant dans ses années d'expérience de grande-sœur pour trouver la force de ne pas simplement la secouer pour avoir des réponses. L'adolescente était visiblement secouée, la braquer n'apporterait rien de bon. Elle se releva finalement, assise face à Mirajane qui ne bougea pas de sa place et posa une main réconfortante sur son genou. Je suis là, tu n'es pas seule. Des gestes simples mais puissants. Elle regarda sa cadette prendre une profonde inspiration, desserrer les doigts, descendre ses mains pour les faire reposer dans son giron. La respiration de l'elfe se coupa.

Des clefs.

D'or, d'argent, d'ébène.

Des clefs et des signes et Mirajane, descendante indirecte de la lignée royale des elfes de la lune, Voleuse d'Âme la plus puissante depuis des siècles, comprit intimement avant même que les mots ne s'écoulent de la bouche d'Anna.

Des objets d'invocations.

Elle se mordit profondément la lèvre, son cœur se fendant légèrement, juste quelques centimètres, pour la destinée tragique qu'allait rencontrer ces êtres célestes.

« Ce sont des Portes. »

Non, voulut gémir Mirajane dans un rare moment de faiblesse, non ce n'était pas que des Portes. C'était bien, bien, plus que ça.

C'était une ouverture sur l'âme des Etoiles. C'était le désir le plus brut de ces esprits perdus. C'était la faiblesse la plus intime qu'un être puisse avoir et ils l'avaient forgé soigneusement pour ouvrir des accès sur le monde divin.

Mirajane arracha son regard hanté des clefs pour le poser sur le sourire un peu incrédule, un peu joyeux, un peu endeuillé d'Anna. Elle le comprit tout de suite. Qu'Anna ne saisissait pas ce que cela voulait dire. Qu'à ses yeux ce n'était qu'un moyen d'ouvrir des Portes et revoir sa famille. Qu'elle ne comprenait pas l'hérésie que cela constituait de sacrifier son cœur pour le matérialiser en objet physique.

Elle eut envie de pleurer. Depuis la première fois de sa vie, Mirajane eut véritablement, sincèrement, envie de pleurer pour le sort d'autrui. Pour des gens qu'elle ne connaissait pas, qu'elle ne rencontrerait jamais, qui n'étaient même plus mortels. Qui ne savait peut-être pas ce à quoi ils avaient renoncé pour devenir de véritables Etoiles.

« Il faut que je leur parle, non ? »

La voix hésitante, un peu apeurée, d'Anna la sortit brutalement de cet effroi silencieux qui l'entraînait doucement dans un précipice. Ses yeux aux iris bleu clair, un peu plus glacés que d'habitude, se concentrèrent sur l'adolescente. Elle s'entendit lui répondre affirmativement, se sentit lui prendre la main pour la mener à l'extérieur de la chambre. Elle vit l'inquiétude qui envahit immédiatement Elfman quand il l'aperçut et qu'il sut déceler sa détresse. Elle vit le moment où il découvrit les Clefs et comprit et ne put que maintenir son sourire vaillamment quand il ferma douloureusement les yeux.

Elle s'effondrerait plus tard. En privé.

Elle ne connaissait aucune Etoile avant celles qu'ils avaient recueillis à la suite de la promesse que Lisanna avait faite à l'une d'entre eux. Elle était réputée pour avoir un cœur de glace et une cruauté sans pareille sur le champ de bataille. Elle n'était probablement pas ce que l'on pourrait appeler « gentille » ni même « aimable » tant que cela ne concernait pas ses proches ; elle se savait égoïste en cela et l'assumait entièrement.

Non, Mirajane n'était pas une bonne personne dans cette vie, ne l'avait probablement jamais été dans aucune de ses vies.

En revanche elle connaissait la valeur des âmes. Elle les traitait avec la plus douce des délicatesses, même celle du démon le plus cruel qui puisse exister, car l'âme était tout. C'était ce qui définissait les êtres, les différenciait des Eléments et des cadavres. Elle les volait, certes, mais elle ne les maltraitait pas. Jamais. C'était une valeur profondément inscrite en elle, dont elle ne dérogerait jamais, peu importe la vie qu'elle menait.

Ce qu'avait fait les Etoiles pour ouvrir des Portes entre les Dimensions était une hérésie. Un sacrilège tel qu'il ne la mettait même pas en colère. Il l'horrifiait au point que sa peau était couverte de chair de poule, mais elle n'était pas en colère contre cette règle de conduite qu'elle s'imposait par respect et qu'eux avaient violés. Non. Elle n'était pas en colère.

Elle était profondément accablée.

Ils s'étaient condamnés à une éternité de souffrance et avait liés des innocents à eux. Des innocents qui seraient influencés et qui changeraient petit à petit pour, peut-être, un jour, devenir tourmenteurs. Car manipuler des âmes fragmentées était un crime tout aussi grand que les fragmenter et les conséquences étaient terribles.

Son regard clair et hanté s'attarda sur son petit frère et son enthousiasme bravement endossé comme protection. Elle sourit à Katja, lui frotta le dos alors qu'elle sanglotait sur une clef d'argent en forme de cygne.

Plus tard.

Plus tard elle s'effondrerait et prierait pour le futur de ces pauvres âmes.

L'Âme des EtoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant