Partie 2 - 1. La Vie Continue

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Profondément enfoncé dans la grande forêt de Joya, lorsque des êtres téméraires survivaient aux dangers sauvages et magiques qu'elle recelait, l'on trouvait une grande maison qui s'étendait dans les branches d'une demi-douzaine d'arbres, reliés par des lignes de cordes entremêlées et des ponts au milieu de solides branches et fragiles feuilles. Malgré son environnement hostile, l'atmosphère était paisible dans la maison. Ils étaient une vingtaine à y vivre depuis à présent trois mois mais ils étaient encore dans la phase d'adaptation.

Ils étaient des Etoiles clouées à terre après tout.

L'une d'elle, par ailleurs, soufflait mélancoliquement devant son petit déjeuner frugal. L'élégante elfe aux longs cheveux d'argent et aux iris d'un bleu glacé lui adressa un regard curieux. Cela faisait plusieurs jours à présent qu'Anna ne semblait pas dans son assiette. Ses yeux de la jolie couleur de la terre retournée ressemblaient à présent plus à de la boue séchée et étaient cernés d'un violet malsain. Sans compter ses cheveux d'or qui ressemblaient à de la paille. La mortelle beauté fronça les sourcils, mécontente. Lisanna comptait sur Elfman et elle pour veiller sur les Etoiles déchues pendant qu'elle recherchait les autres, encore dispersées dans la nature, et elle ne voulait pas décevoir sa petite sœur.

« Tu devrais manger Anna.

—Je n'ai pas très faim.

—Hm » Mirajane accepta la réponse, une seconde avant de la réfuter. « Ce n'est pas vraiment pas la question cependant. Si tu ne dors pas tu dois au moins manger sinon ton corps va lâcher.

—Si ça me permet de dormir, je veux bien que mon corps lâche, soupira Anna encore plus profondément. »

Mirajane la regarda jouer avec sa tartine, la coupant en morceaux de plus en plus petits. Son thé intact et froid repoussé jusqu'au milieu de la table. Elle n'allait pas bien. Peut-être était-ce la fin tragique de leur peuple que chaque Etoile avait vécu mentalement, quelque soit leur localisation dans le monde. Trois mois étaient passés mais c'était un traumatisme dont on ne se relevait pas facilement, elle le savait bien. D'autant plus qu'Anna avait été présente, physiquement, contrairement à nombre de survivants.

L'elfe de lune pencha légèrement la tête, peu convaincue de sa conclusion. La jeune fille devant elle était l'une des plus vieilles actuellement et elle gardait la tête hors de l'eau en s'occupant de ses cadets. Si ce n'était pas invraisemblable que son deuil ruine ses nuits, c'était curieux que cela ne se produise que depuis quelques jours.

Elle n'avait aucune preuve cependant, excepté ce petit chatouillement entre ces omoplates, celui qu'elle avait associé à son sixième sens au fil des années.

« Quelque chose te tourmente Anna ? »

Le reniflement clairement sarcastique qu'elle reçut en réponse la fit froncer les sourcils. Aussi bienveillante voulait-elle paraître, elle ne cautionnait pas l'insolence. Elle posa le couteau avec lequel elle coupait le pain pour les lève-tard qui n'allaient pas tarder à arriver, posa délicatement ses mains sur la table et se pencha sur Anna. Celle-ci se tendit et Mirajane ne fit que lui sourire. Anna détourna les yeux, les mains tremblantes serrées l'une contre l'autre.

« Oui, répondit-elle avec réticence. Des rêves de mon passé, poursuivit-elle, hésitante. »

Elle resta silencieuse, s'assit simplement dans une chaise pour être au même niveau que sa protégée. Attentive.

« Il... il y a presque tout le monde, tout ceux qui sont morts avant que notre roi reprenne sa forme divine. Ils ne sont que... que quatre-vingt-huit. Tellement sont morts, gémit-elle, la voix étranglée, juste avant d'inspirer profondément pour rassembler son courage et reprendre son calme. Ils sont... dans un monde extraordinaire. Le Royaume originel des Etoiles, je crois. » Une pause, sa langue humidifie nerveusement ses lèvres, une inspiration. Mirajane la couve toujours de son regard. « Sa Majesté et le Zodiaque, les- les treize premiers à l'avoir rejoint » expliqua-t-elle maladroitement, passe sous silence l'absence de l'une d'entre eux, n'ose pas espérer « ils me regardent tous et me donne quelque chose. Je ne sais pas ce que c'est... pas vraiment ? J'ai le sentiment que je devrais le savoir. Que c'est juste... juste là ! Sous mon nez ! »

Le cœur de Mirajane craqua un petit peu à la vision du regard dévasté de l'adolescente. Il n'y avait pas là que le deuil d'une famille qu'elle connaissait depuis des centaines d'années. Il y avait aussi l'instabilité mentale de savoir sans se souvenir. Elle n'était pas une Etoile, elle ne comprendrait jamais ce sentiment, mais elle pouvait deviner ce que cela faisait de se retrouver amputé de centaines d'années tout en continuant à savoir certaines choses venues de sa vie actuelle. Des choses qu'elle ne pourrait jamais plus comprendre, tout en sachant qu'elle aurait dû. Que cela avait été en son pouvoir. Par les âmes damnées, rien que trois mois auparavant elle n'avait aucun problème !

L'elfe dissimula son soupir dans une expiration à peine forcée. Elle allait avoir du mal avec Anna. Les plus jeunes c'était simple, ils se souvenaient de moins de choses, avaient vécu moins de choses, ils profitaient simplement de leur puissance magique tout en posant quelques questions de temps en temps. Les enfants s'adaptaient vite. Anna était suffisamment adulte pour avoir cette rigidité qui les faisait briser au lieu de plier. Oui, Anna serait un cas difficile. Mirajane lui prit la main, lui offrit une pression rassurante et un sourire aussi réconfortant que possible. Difficile mais pas désespéré.

« Veux-tu faire une séance de méditation avec moi avant de te coucher ? Cela pourrait peut-être te rendre plus réceptive. »

Le regard sombre de la jeune fille s'éclaira quelque peu et Mirajane s'estima satisfaite. Ce n'était pas un sourire mais c'était une amélioration. Et puis il y avait de l'espoir dans ce regard. Tant qu'il y avait de l'espoir tout n'était pas perdu. C'était le principal.

« Oui, s'il te plaît.

—Bien. Une bonne chose de faite. » Une dernière pression sur la main crispée d'Anna avant de se dégager gentiment et de se lever. « Mange à présent, tu en as besoin. »

Anna hocha la tête, toujours un peu réticente mais prête à faire des efforts. Mirajane sourit pour elle-même en reprenant son couteau et le faire tournoyer avant de couper les tranches de pain. Elle finit pile au moment où le rugissement d'Elfman réveillait le reste des habitants dans un concert de hurlements qui se transformèrent bientôt en éclats de rire et protestations.

La maison s'éveilla bientôt complètement, redevint vivante et agitée, et le bleu glacé des yeux de la maîtresse de maison se réchauffa quelque peu. Malgré le malheur tombé sur les Etoiles, elle était heureuse de les avoir chez elle.

L'Âme des EtoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant