Chapitre 2 - Dylan

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Il n'est que midi et, pourtant, je suis déjà à la rechercher d'un party pour ma soirée. La dernière nuit au bar ne m'a pas rassasié : il faut que je lâche mon fou, boive jusqu'à oublier ma médiocrité et prenne du plaisir. Parce qu'il n'y a rien de mieux que la sensation d'ivresse, ce lâcher-prise qui te rend libre de tes mouvements et de tes paroles. Le temps devient une chose abstraite et la réalité n'a plus de sens ; quoi de mieux pour mettre de côté ses échecs l'espace de quelques heures ?

Depuis un an, mes nuits entières sont dédiées aux fêtes de toutes sortes, qu'elles soient dans des bars miteux ou dans les appartements des célébrités du moment. Je m'infiltre dans toutes les soirées dont j'entends parler, tisse des amitiés avec le plus d'invités possible, offre une bière ou deux à une belle fille et récolte des invitations pour d'autres événements. Soir après soir, je drague, bois, raconte quelques blagues, sans oublier les nombreux défis que je relève. Que serait un party sans challenges proposés par des gars saouls ?

Pourtant, aujourd'hui, rien ne m'attire. Demain signe le retour au travail et aux études pour une grande majorité de la population québécoise, ce qui signifie : pas de grosse fête. Mes potes n'ont pas envie d'avoir la gueule de bois pour leur rentrée à l'université. Quelle connerie ; ils n'y étudient que pour les festivités qui les accompagnent, les bars à proximité des résidences universitaires et les professeurs sexy.

Je devrais prendre exemple sur les gars et rester chez moi ce soir, devant une série Netflix, une bière à la main. Après tout, mon emploi comme vendeur de téléphones intelligents est loin de payer toutes mes dépenses et, nuit après nuit, mes dettes s'accumulent. Je devrais chercher un contrat sur Internet ou, encore mieux, trouver un endroit où les inscriptions aux open mic ne sont pas complètes, question de ramasser un peu d'argent.

Mais non. Voilà un an que je suis sorti de l'École de l'humour, et un an que je sombre peu à peu dans l'enfer des soirées arrosées et des plaisirs de la chair. Moi qui avais autrefois un rêve, je ne suis maintenant qu'un pauvre type qui tente d'oublier son échec. Je fuis la solitude et le bruit assourdissant des pensées, pour me retrouver en bonne compagnie, loin de ma vraie vie. Tel un criminel, je vis sans réfléchir aux conséquences de mes actes. Et même si je suis conscient de ma perdition, je ne pose aucun geste pour améliorer ma condition.

Peut-être qu'en fin de compte, le chemin de l'humour n'est pas fait pour moi. Peut-être que mon chemin, c'est celui de l'échec.

— Merde, merde, merde !

C'est justement pour éviter ce genre de pensées que je passe mes nuitées à danser et à boire des litres et des litres d'alcool de mauvaise qualité. Le plaisir – sous toutes ses formes – est la seule chose qu'il me reste. Et parfois, je dois forcer le destin pour atteindre ce qui est devenu, en quelques mois, ma drogue.

— Jim ? demandé-je dès que la voix de mon ami me parvient.

Il est toujours partant pour aller prendre un verre, alors c'est lui que j'ai appelé en premier. Andrew, lui, s'investit corps et âme à ses études – ce que je ne comprendrais jamais – et il ne voudra pas se détendre un peu, autour d'une bonne bière, avant ses études. J'ai plus de chance avec Jim, mon compagnon de beuverie.

— Non, je n'irai pas au Gliters avec toi, me répond-il aussitôt.

Il ne va pas s'y mettre, lui aussi ! Qui refuse un moment en ma compagnie ?

— Oh, fais pas ta tapette ! Je te paie ton drink, tu n'as qu'à te déplacer.

Il soupire pour toute réponse.

— J'ai déjà redoublé ma première année de médecine, je ne veux pas foutre en l'air celle-ci pour faire encore la fête avec toi.

Jim croit qu'un jour, il va être médecin. Quelle bonne blague. Je le connais depuis notre entrée au secondaire, alors que nous soufflions à peine sur nos bougies de douzième anniversaire. Nous avons vécu plus de choses ensemble que sa mère a eu d'orgasmes tout au long de sa vie. S'il y a quelqu'un qui connait tous ses secrets et les recoins de son petit cerveau, c'est bien moi.

L'Ère de la CensureWhere stories live. Discover now