Chapitre 13 - Dylan

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Me voilà sur la scène du Bordel complètement à jeun et débordant d'adrénaline. Elle coule dans mes veines, me fait pousser des ailes et, surtout, me permet d'oublier la nervosité qui m'étreint d'ordinaire le ventre.

J'ai beau me trouver dans le comedy club de mes rêves, devant un nombre de spectateurs plus impressionnant que les publics des bars miteux, je me sens bien comme jamais. À ma place.

Les lumières m'aveuglent, m'empêchant de bien distinguer les fans d'humour qui peuplent l'endroit. Pourtant, mes yeux se posent aussitôt sur Fen, qui se trouve à quelques mètres de la scène. Elle est magnifique, ce soir. Habillée simplement, elle resplendit comme jamais, comme si elle aussi elle était à sa place.

Je me concentre donc sur sa petite bouille adorable, en me rappelant mon objectif : la faire rire. Même s'il n'y a qu'elle qui s'esclaffe, je serai satisfait. Ce soir, elle est ma priorité.

Après un petit moment de silence, limite gênant, je me lance dans le récit d'une anecdote qui m'est arrivé il y a un an. J'ai rôdé ce numéro pendant quelques mois dans les bars et il s'agit de celui qui a récolté le plus de rires - c'est-à-dire pas beaucoup venant d'alcooliques - alors je tente ma chance aujourd'hui.

La première minute se révèle difficile. J'ai beau bouger sur scène, assurer ma présence et lâcher quelques punchs, les rires sont davantage polis qu'autre chose. Le visage de Fen, lui, garde toujours une mine impassible. Je ne le perds pas de vue, tentant de la faire rire. Si elle a réussi à le faire avec moi, avec son cinq minutes incroyable, je devrais en être capable moi aussi.

Je lâche un autre punch, celui dont je suis le plus fier. Et ça y est : la salle explose de rire. L'adrénaline resurgit dans mes veines, un sourire étire mes lèvres et mon énergie redouble d'ardeur. Le public continue de m'encourager, de m'acclamer comme si j'étais un véritable humoriste, et ça me donne assez de motivation pour improviser quelques lignes. C'est dangereux, je sais, mais en ce moment, je suis prêt à tout pour voir Fen rire à mes blagues.

Il ne reste qu'une minute à mon anecdote, mais elle n'a pas ri ; ou peut-être suis-je trop loin d'elle pour apercevoir ses lèvres remuer. Quoi qu'il en soit, je n'abandonne pas, je continue à lancer des punchs, jusqu'à délivrer mon ultime ligne et... elle rit !

Peu m'importe les rires et les applaudissements de la foule, en ce moment je suis concentré sur le magnifique visage de Fen et sur toute sa personne qui se secoue tout en s'esclaffant allégrement. Pendant quelques instants, j'oublie l'endroit où je me trouve, les humoristes reconnus qui se trouvent dans la même pièce que moi, pour me focaliser sur la plus belle femme de la salle.

Elle rit. Putain, elle rit !

Un énorme sourire aux lèvres, je salue la foule qui m'offre un standing ovation. Les larmes m'en viennent presque aux yeux, mais je les retiens, fais un homme de moi et les remercie avant de m'éclipser en coulisses. Aussitôt, une dizaine de personnes s'approchent de moi pour me taper dans le dos, me féliciter. Certains visages me sont familiers, d'autres non, pourtant je m'en moque complètement en ce moment.

Je réponds aux compliments, use de politesse, mais tout ce que je désire pour l'instant, c'est me rendre jusqu'à Fen, pour avoir ses commentaires quant à ma performance. J'ai beau être sorti de scène il y a quelques secondes à peine, je ne me rappelle plus très bien des cinq minutes passes sur scène. Comme si l'adrénaline m'avait lavé la cervelle...

Tout en restant poli - je ne veux pas gâcher mes chances de rejouer ici ! -, je m'empresse de me faire un chemin pour atteindre la pièce principale. Sauf que je suis interrompu par un homme. Un humoriste. Et pas n'importe quel humoriste, mais l'un des fondateurs du Bordel. Estomaqué de me retrouver devant une telle légende de l'humour, je reste figé quelques instants. Il veut me parler, à moi ?

L'Ère de la CensureWhere stories live. Discover now