Chapitre 11 - Dylan

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J'ai froid.

La première pensée qui me vient à l'esprit en observant la noirceur m'entourant est qu'il fait un froid de canard. Et que je n'arrive pas à me réchauffer.

J'ignore où je me trouve. Il n'y a que du noir à perte de vue, et aucun signe de luminosité. Je tente de m'avancer, afin d'explorer l'endroit où j'ai atterri, mais mes pieds refusent de bouger. Je suis prisonnier.

Commençant à perdre mon sang-froid, j'essaie de me remémorer de ce que je faisais avant de me réveiller dans ce lieu d'obscurité et d'absence, pourtant rien ne me vient à l'esprit. Mes souvenirs semblent remonter à si longtemps que j'en perds la chronologie et que je me retrouve confus.

Putain, mais je suis où ? Dans mes rêves ? C'est quoi ce putain de délire ?!

Et apparaissant comme par magie, une image s'impose à moi. Elle se trouve loin de moi, et il n'y a aucun moyen de l'atteindre. Mais de toute façon, est-ce que je désire voir ce que mon esprit me réserve ? Suis-je prêt à affronter mes propres démons ?

Parce qu'il n'y a qu'une explication possible à tout ceci : ma conscience veut me passer un message.

Et je n'en ai aucune envie. Malheureusement, je ne parviens pas à bouger, restant immobile comme une statue. Peu importe la force que j'y mets, ça ne change rien du tout.

En relevant les yeux, je remarque l'image, qui est désormais si près de moi que je ne peux pas regarder ailleurs. Un garçon, qui doit avoir à peine dix ans, s'y trouve, regardant la télévision, assis sur le tapis du salon. Ses cheveux bruns et ses yeux colorés ne laissent aucun doute : il s'agit d'une version plus jeune de moi.

Intrigué, j'observe avec davantage d'attention le petit Dylan. Il - ou plutôt je - porte un tee-shirt à l'effigie de RBO, un groupe humoristique québécois que mon père affectionnait particulièrement. Son regard semble ensommeillé, comme s'il était tard le soir et que l'heure du coucher était dépassée depuis longtemps. Ses yeux sont rivés sur l'écran de la télévision, où des numéros d'humour doivent jouer.

Je ne veux pas regarder qui est installé sur le canapé, je ne le veux surtout pas. Pourtant, même dans mon propre esprit, je ne suis pas le maitre.

Il est affalé comme s'il était le maitre des lieux, une bière à la main, la chemise cachant à peine son ventre rebondi. Il est tel que je me le rappelle : bourré en tout temps, les cheveux gras à force de ne pas être lavés, allant de pair avec son rire gras. À 10 ans, j'avais déjà un père alcoolique.

Il avait ces bons moments, ceux où il se reprenait en main et nous promettait qu'il ne toucherait plus jamais à l'alcool. Mais il y avait aussi les mauvaises passes, celles où une seule consommation suffisait à le rendre agressif, où il détruisait tout ce qui se trouvait autour de lui.

Si les premières années passées avec lui, à regarder les galas d'humour à la télévision, ont été des plus agréables, l'alcool est rapidement venu gâcher le tout. Je sais très bien ce qui arrive par la suite à ce petit Dylan, ce qu'il va voir et ressentir. Je ne veux pas assister à ça.

Ma panique revient au grand galop, le stress me brûle l'œsophage, ma respiration se saccade, mon corps se tend, mon cœur bat la chamade, une larme de sueur coule le long de ma colonne vertébrale...

— Dylan, tu veux une petite gorgée ? demande le père du souvenir.

Si je le pouvais, je fermerais les yeux pour ne pas assister à ce qui va suivre. Mais je n'ai plus aucun pouvoir sur mon propre corps et n'ai pas le choix de voir le petit Dylan hocher la tête avec enthousiasme. Le sourire et l'excitation qui s'affichent sur son visage me crèvent le coeur. Ce n'est pas la première fois qu'il boit de l'alcool ; c'est une petite tradition entre son père et lui.

L'Ère de la CensureWhere stories live. Discover now