Chapitre 14 - Fen

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Je n'aurais peut-être pas dû placer autant d'espoirs chez Dylan. Il n'a que vingt ans – enfin, je pense –, bref le même âge que moi. Et il est déjà alcoolique, putain ! Il n'arrêtera pas de se souler du jour au lendemain parce qu'une fille quelconque, comme moi, lui a dit d'arrêter. Je ne suis rien pour lui. Rien que la fille avec qui il travaille pour que nous améliorons nos carrières, tous les deux.

J'étais fière de lui. Presque fière comme si c'était mon ami proche. Lorsque je l'ai vu monter sur la fameuse scène du Bordel, sans alcool dans le corps, sans verre à la main comme plusieurs autres humoristes avant lui, je me sentais fière comme une mère, ou presque. Je me suis même prêté au petit jeu auquel il m'a défiée. J'ai essayé de ne pas rire tout au long de son cinq minutes, mais j'ai rapidement du abandonner et j'ai laissé échapper quelques ricanements. Parce que, dans le fond, Dylan est doué. Autour de moi, la foule était en liesse. Ça riait, ça tapait sur les tables, ça se chuchotait à l'oreille. Et tout ça pour le numéro d'un simple open-miceur. L'ambiance était euphorique, extraordinaire.

Et de mon côté, j'ai craqué à son punch final puisqu'il a très bien conclu son numéro avec une blague et qu'il était parfait tout au long du cinq minutes. Je ne l'avais pas vraiment vu jouer avant ce soir alors je ne savais pas à quel point il était doué. Son numéro, en cette soirée survoltée, m'a prouvé qu'il a de talent malgré tout. Avec un peu plus de travail, il serait capable de faire des miracles j'en suis certaine ; même si je ne suis pas sûre de pouvoir l'aider, étant moi-même une débutante n'ayant pas fait beaucoup de scène.

Lorsqu'il a eu un standing ovation, c'était l'euphorie. Tous ces gens debout qui applaudissaient son numéro, sa prestance, son talent, sa personne... J'étais remplie d'une joie immense pour lui, d'une fierté débordante, et j'aurais même pu lui sauter dans les bras si je ne m'étais pas retenue. Mais lorsque je l'ai vu, au loin, accepter une bière, ma joie est retombée aussitôt comme un soufflé mal préparé. Comment pouvait-il retomber dans ce démon après avoir fait une belle performance sans alcool ?

Ça m'a scié les jambes.

L'endroit où nous nous trouvions plus tôt est un comedy club, il y a un bar et beaucoup de personnes boivent ; il s'agit de l'esprit même du lieu. Je peux comprendre que la tentation soit forte pour quelqu'un comme Dylan. Mais là... j'ai paniqué. J'ai paniqué parce que célébrer son numéro, pour lui, voulait surement dire boire jusqu'à pas d'heure. Parce qu'il n'avait visiblement aucune intention de changer cette mauvaise habitude.

Et notre petite confrontation, à l'extérieur, me l'a prouvé une énième fois. Ce n'est pas qu'il ne peut pas changer, il ne veut pas changer ; c'est aussi simple que ça. Il est persuadé que c'est important pour lui et qu'il ne peut pas s'en départir. Quand comprendra-t-il qu'il s'agit d'un poison, que la boisson ne lui apporte rien du tout ? Il n'en a pas assez d'avoir des blacks out, de se réveiller en retard ou d'avoir une mauvaise haleine le matin ? Qu'est-ce que ça lui prend, pour ouvrir les yeux ?

Ce soir encore, il m'a donné une énième raison de m'éloigner de lui, d'arrêter notre collaboration et de travailler de mon côté. Après tout, j'ai rencontré quelques contacts ce soir, dont Étienne, et je n'ai clairement pas besoin de Dylan pour m'aider à monter au sommet de mon éventuelle carrière.

Pourtant... pourtant je ne peux décemment pas l'abandonner. Même si ça signifie juste de briser notre marché, qui n'était de toute façon pas officiel. Il y a quelque chose qui m'attire chez Dylan, et j'ignore de quoi il s'agit. Avant aujourd'hui, je n'avais pas vraiment l'âme d'une sauveuse, de quelqu'un qui répare les cœurs brisés, mais quelque chose a changé.

Et peut-être qu'au lieu de lui faire tout le temps la morale, je pourrais changer de tactique, pour aider Dylan. Peut-être que je pourrais opter pour quelque chose de plus doux, de plus progressif. Proposer des solutions, au lieu de lui demander d'arrêter. Je ne sais pas, je ne suis pas une experte...

L'Ère de la CensureWhere stories live. Discover now