Chapitre 12 - Fen

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C'est ce soir.

C'est ce soir que Dylan présente son cinq minutes à la soirée open-mic du Bordel.

Je ne l'ai pas vu dans les derniers jours, me concentrant sur la rédaction et le perfectionnement de mes propres numéros, mais il n'a pas manqué de me rappeler la soirée, hier soir. Comme s'il tenait à ce que je m'y présente.

Malgré tout, je ne suis pas sûre d'y avoir ma place, même si je ne jouerai pas et me contenterai de le regarder. Il s'agit du premier comedy club de Montréal, fondé par cinq des plus grands humoristes des dernières générations. Des légendes de l'humour, des artistes connus et d'autres moins populaires, mais bien établis dans le milieu, s'y trouvent tous les soirs, que ce soit sur scène ou dans le public. Qu'est-ce qu'une apprentie, comme moi, qui n'a pratiquement pas fait d'open-mic, fait dans un endroit aussi important ? Je ne suis qu'une imposteure.

Mais d'un autre côté, hors de question de refuser cette proposition de Dylan. C'est ma chance d'en apprendre plus sur le milieu, et qui sait, peut-être discuter longuement avec un humoriste reconnu. Je ne peux pas manquer cette occasion !

Je ne suis pas une femme qui se soucie de ses vêtements - au grand malheur de Meredith -, mais en ce moment, je panique, ne sachant pas comment m'habiller pour la soirée open-mic du Bordel. Y a-t-il un certain code vestimentaire ? Si mes habits sont trop décontractés, vont-ils me juger ?

Arrête de stresser ! Ce sont des artistes, pas des bourgeois mal léchés !

Ayant décidé de mettre de côté ma nervosité inutile, je m'empresse de me préparer, en n'oubliant pas d'appliquer une couche de maquillage, afin de donner un peu de couleur à ma peau incroyablement pâle. Puis une fois satisfaite du résultat final, je sors de l'appartement sans un regard en arrière. Il s'agit peut-être d'une simple invitation pour Dylan, mais pour moi, il s'agit d'une occasion en or de me faire des contacts, d'observer des collègues en action et d'apprendre. Je ne demande rien de mieux.

Le soleil est encore présent dans le ciel et ses rayons viennent caresser avec douceur ma peau. Je savoure cette agréable sensation tout en enfilant mes écouteurs avant de démarrer un podcast. Depuis peu, les podcasts humoristiques se multiplient au Québec et peuplent le quotidien des amateurs d'humour. Pour ma part, je passe en boucle les épisodes de Sous Écoute, animé par Mike Ward, qui est également l'un des fondateurs et propriétaires du Bordel. Même si son humour noir, à la limite des sujets sensibles, est totalement opposé au mien, j'apprécie ce vent de fraicheur.

Tout en écoutant ses invités de la semaine parler d'un sujet aussi incongru qu'hilarant, je me promène dans les rues de Montréal. J'ai pris un peu d'avance, afin de m'aérer l'esprit avant de débarquer au comedy club. Il ne manquerait pas que j'y arrive énervée, sautillant d'excitation, et gâche tout. Sans oublier qu'il s'agit du moment de gloire de Dylan, et non du mien. C'est lui qui a réussi à se faire booker sur la soirée, pas moi.

Après une dizaine de minutes à déambuler dans les rues du centre-ville de Montréal, à laisser l'air frais me calmer, j'arrive enfin devant le fameux comedy club. Il a été nommé Le Bordel puisqu'il était auparavant, il y a bien longtemps, une maison close. Alors, même si la façade extérieure ne paie pas de mine, elle possède un cachet certain.

Prenant une grande respiration pour me donner du courage, j'entre finalement dans le palais de l'humour québécois. Et j'ai beau avoir vu l'intérieur du comedy club une centaine de fois - grâce aux différents podcasts filmés ici -, je n'en suis pas moins éblouie lorsque je pénètre l'endroit.

Il est beaucoup plus petit que je ne le pensais ; il doit y avoir à peine cent places assises. Une minuscule scène, avec un micro, se trouve de l'autre côté de la pièce. Les murs, faits de fausses briques, donnent un cachet particulier à l'endroit, accentué par les ampoules à faible luminosité disposés un peu partout au plafond. Et cerise sur le gâteau, tout au fond de l'endroit, sur le mur, les portraits des humoristes propriétaires se dressent de toute leur splendeur, nous scrutant presque de haut.

L'Ère de la CensureWhere stories live. Discover now