Chapitre 9 - Fen

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Dylan ne s'est pas contenté de commenter mon texte, il a réalisé un vrai travail de professionnel dessus. Il a annoté, surligné des passages entiers, relevé les faiblesses et les points forts, en plus de me proposer des reformulations. Je n'ai jamais obtenu de retour aussi détaillé, même lorsque j'étais à l'école secondaire et que mes professeurs étaient payés pour corriger mes productions écrites.

Moi qui suis sortie de son appartement furax, je suis désormais confuse. Comment Dylan peut-il être aussi douée et boire autant ? Tous les alcooliques que j'ai connus n'étaient bons à rien lorsqu'ils étaient en état d'ébriété - et c'est toujours le cas. Je me souviens bien de ces soirs où Meredith revenait du travail, l'haleine puant l'alcool de mauvaise qualité. Elle m'obligeait à m'asseoir devant elle, dans le salon, et à lui dire à quel point je l'aimais et j'étais reconnaissante qu'elle m'ait sauvée d'une vie misérable en Chine. Elle était si intoxiquée qu'elle me giflait chaque fois que je refusais.

Aujourd'hui, je me doute qu'elle buvait chaque fois que son travail était difficile, qu'elle vivait un grand stress ou quelque chose du genre, mais ça ne change rien au fait que j'ai vécu de l'abus. Elle était toujours plus méchante, plus violente, plus critique dans ces moments-là. Elle en venait parfois même aux insultes racistes.

Voilà l'une des nombreuses raisons pour lesquelles elle n'a jamais été ma mère. Je m'échine à la fuir parce que je sais ce qu'elle pense réellement de moi.

Parce que quand elle est intoxiquée, elle est une lavette sans force et sans filtre. Parce que l'alcool empire les défauts des gens, en plus de les rendre bons à rien.

J'ai vu ce que la gueule de bois a fait à Dylan, comment son propre corps avait l'air explosé. Il n'a pas entendu son réveil, a oublié notre rendez-vous et était incapable de lire un simple écran d'ordinaire. Tout ça à cause d'une boisson ingérée la veille.

Mais d'un autre côté, quelques heures à peine après, il a été capable de produire un travail d'une minutie incroyable. Comment est-ce possible ? Est-il une sorte de génie caché derrière une réputation pas trop nette ?

Ce qui est certain, en tout cas, c'est qu'il cache quelque chose. Boit-il pour oublier ? Oublier quoi ? Je ne devrais pas être intriguée par Dylan, par ce démon qui le hante et va sûrement s'en prendre à moi, mais je ne peux m'empêcher de vouloir l'aider, au fond de moi. Il ne mérite pas de rester dans cet enfer. Peu importe où il se trouve dans la descente, j'espère qu'il pourra en remonter...

Je ne parviens pas à me concentrer sur mon texte, malgré toute ma bonne volonté. Mes pensées reviennent toujours à Dylan et à son problème d'alcool ; ou du moins, ce qu'il m'a laissé voir. Les souffrances des autres m'ont toujours profondément touchée, et j'ai toujours voulu aider. Mais est-ce une bonne idée de venir en aide à un homme avec un démon qui ne m'est pas inconnu ? Ne vais-je pas revivre les mêmes troubles qu'avec Meredith ? Et si je me détruisais aussi ?

Je ne sais pas, je ne sais pas, je ne sais pas...

Ça ne fait que quelques mois que j'ai la tête sortie de l'eau, que je respire enfin librement, en toute quiétude. Pourquoi foutrais-je tout en l'air pour un inconnu ?

Parce que tu aurais aimé qu'on t'aide, Fen, me glisse ma petite voix intérieure.

Un soupir m'échappe. Aussi beau soit-il, Dylan est dangereux ; pour les autres, pour lui-même, pour moi. Et je n'ai vu que la pointe du iceberg. Il y a encore une multitude de couches que je n'ai pas découvertes, ai-je envie de les voir ? Est-ce que continuer à travailler avec lui signifie approuver son comportement auto-destructeur ? Serai-je impactée par ses choix de vie ?

Je ne sais pas, je ne sais pas, je ne sais pas !

La tête tourbillonnante, le cerveau en surchauffe et l'âme déchirée, je ne sais pas quoi faire. Dans ces situations-là, il n'y a qu'une personne capable de me ramener sur le bon chemin : Romy. Je m'empresse de l'appeler.

L'Ère de la CensureWhere stories live. Discover now