Uzui Tengen, le pilier du son

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Quatre jours.
Ça faisait quatre jours.
Quatre jours que la première lune inférieure avait été éliminée.
Quatre jours que le Train de l'Infini s'était écrasé.
Et quatre jours que le pilier de la flamme, Rengoku Kyojuro, était mort, à la suite de son combat contre Akaza, la troisième lune supérieure.
Arrête d'y penser ! Je vais me déconcentrer !
Mes bras étaient lourds comme du plomb. Soulever le sabre d'entraînement que j'avais dérobé parmi ceux du domaine des papillons me demandait un effort considérable.
Allez ! Encore !
J'abatis le sabre sous la lumière de la lune, la vision trouble, le corps tremblant.
Je ne dois pas lâcher maintenant !
Tanjiro, Zenitsu, Inosuke et moi avons été confiés au domaine des papillons pour soigner nos blessures après notre mission dans le train, mais, toutes les nuits depuis le début de notre rétablissement, je m'entraînais jusqu'au lever du soleil, sans prendre le temps de me reposer.
Hors de question de me laisser aller !
Je n'arrivais pas à dormir. Dès que je fermais les yeux, le visage souriant de la troisième lune supérieure jaillissait dans mon esprit, et je n'arrivais plus à le chasser.
J'ai été incapable d'agir. Si je m'étais entraîné plus dur, j'aurais pu sauver Rengoku-san. Je n'aurais pas dû me préserver sous prétexte que mon corps me le demandait. Ce n'est qu'une stupide illusion pour me faire croire que je suis humain : je n'ai besoin de rien de tout ça en réalité !
- Tu es aussi humain que nous, quoi que certains puissent en dire.
Les mots du pilier revenaient souvent dans ma mémoire, mais aucun d'eux ne sonnait vrai à mes yeux ; Rengoku avait prononcé ces paroles avec sa sincérité habituelle, je n'en doutais pas, mais mon cœur, lui, ne croyait pas à la véracité de ces mots.
Rengoku-san...
Je secouai la tête et abatis mon sabre une fois de plus.
- Votre état ne s'améliore pas, (t/p)-san, je ne sais pas quoi faire...
- Ne bouge pas, ta blessure est sérieuse, il faut que tu récupères !
Les visages inquiets de Sumi, Naho, Kiyo et Aoi ressurgirent dans mon esprit.
Les filles...
Je baissai mon sabre, le front perlé de sueur et levai mes yeux cernés vers la lune, la respiration sifflante.
Ne vous faites pas de soucis pour moi, je vous en prie...
Ma vision se troubla soudainement et je m'écroulai par terre, les oreilles bouchées.
C'est pas le moment !
Des spasmes secouèrent mon corps et je vomis le peu de nourriture que je mangeais chaque jour.
Ferme-la maudit corps ! Ne va pas me faire croire que c'est trop pour toi !
- Tout le monde s'inquiète tu sais ?
J'écarquillai les yeux.
Cette voix... Je l'ai déjà entendue...
Des pas se dirigèrent vers moi et deux pieds entrèrent dans mon champ de vision.
Qui est-ce ?
- Dans cet état, même le plus faible démon te tuerait facilement.
Je redressai la tête, croisant le regard brun de mon interlocutrice.
C'est un pilier du procès...
- Vous êtes... murmurais-je avec difficulté.
- Tsuka Yako, se présenta la femme en me tendant une gourde d'eau.

Je m'en saisi et me rinçai la bouche, m'hydratant par la même occasion. La femme lâcha un soupir, le vent s'engouffrant dans ses cheveux verts et son haori violet.
- Si tu t'empêches de te rétablir avec ce genre d'entraînements cachés, tu ne repartiras jamais au combat.
Elle se saisit du sabre d'entraînement que j'utilisais, et je me relevais tant bien que mal, le corps encore lourd.
- Rendez-moi ça... marmonnai-je, Je n'ai pas besoin de guérir... Les autres n'ont pas à s'inquiéter pour moi...
- Je ne suis pas toi, mais je crois que cette capacité de guérir instantanément ne t'a pas été accordée par ton géniteur.
Je me figeai à l'entente de ces mots, des sueurs froides coulant le long de mon dos. Le pilier lâcha le sabre et me plaqua soudainement au sol, m'empêchant de bouger.
- Lâchez-moi ! protestais-je en me débattant, Qu'est-ce que vous faites ?!
- Tu vas m'écouter sagement, Oyomi (t/p).
La poigne de la femme était dure comme du fer, elle ne bougeait pas d'un poil.
- Regarde-toi, dit-elle en me fixant de haut en bas, Tu es épuisé. Tu détruis tes dernières forces avec ces entraînements-suicides, tu t'empêches toi-même d'aller mieux.
- Taisez-vous ! criais-je, les larmes aux yeux, Vous ne savez rien du tout ! Je ne suis pas comme vous ; mon corps est plus résistant, je ne dois pas prendre le temps des médecins ! Je suis déjà guéri, il faut vite que je m'améliore si je veux pouvoir me montrer utile !
- Tu n'es pas un démon.
Je m'immobilisai. La voix de cette femme était ferme, mais douce.
- Peut-être que tu guéris un peu plus vite que la plupart des humains, mais ça te rend juste détenteur d'un système de guérison élevé. C'est le cas pour plus de personnes que tu ne le penses.
Elle me relâcha et se redressa, la mine triste.
- Te montrer utile hein ? répéta-t-elle, Tu veux essayer de justifier ton existence n'est-ce pas ?
Je me figeai. Les larmes commencèrent à couler sur mes joues, s'écrasant lourdement par terre.
- Tu te détruis physiquement et psychologiquement avec ce complexe d'infériorité, continua le pilier, Juste parce ton père est un meurtrier. Ne souffres pas à sa place.
- ... Mais c'est pour moi qu'il a tué tous ces gens... murmurai-je, cherchant à ravaler mes larmes, Si je n'avais pas été là, ils seraient sûrement encore en vie...
- Tu ne pourras jamais le savoir.
La femme s'agenouilla à côté de moi.
- Le passé est écrit. Le ressasser sans cesse en te plaignant sur ce qui aurait pu ou ce qui aurait dû se passer ne changera rien.
Elle attrapa le sabre d'entraînement et commença à dessiner sur le sol, le regard dans le vague.
- Tu te rends responsable du meurtre de ta famille parce que tu cherches un coupable que tu puisses punir dans l'immédiat, même si tu es innocent.
Des tremblements secouaient mon corps. Chaque mot de cette femme tombait juste, c'en était presque effrayant.
- Comment vous pouvez être aussi sûre de ce que vous affirmez ? demandais-je, la voix fébrile.
- Parce que j'ai aussi vécu ça.
Je relevai subitement la tête vers le pilier. Elle fixait le sol, le regard sombre. J'orientai mon regard et écarquillai mes yeux. Elle n'avait rien dessiné, juste écrit un numéro.
- Un ? lisais-je.
- Je l'avais déjà rencontré, mais il n'a pas eu le temps de m'attraper car le soleil se levait. C'était moi qu'il voulait.
Je me tournai de nouveau vers la femme.
- Mon père m'avait cachée avec mon frère avant que ce démon ne nous retrouve, mais il n'a pas eu le temps de s'enfuir avec ma mère et mes grands-parents, et ils se sont fait massacrer. Je pense qu'il les a torturé pour savoir où j'étais, mais ils n'ont pas craqué. Je me suis considérée coupable pendant très longtemps, surtout après que mon frère soit mort pour me protéger d'un démon à la Sélection Finale. Je me suis longtemps demandé pourquoi moi j'avais survécu et pas eux, pourquoi ils étaient morts à cause de moi. Mais je ne suis pas coupable, ce sont ces deux démons les vrais coupables.
- Mais pourquoi ? demandai-je, Pourquoi vous ?
- Je n'en sais rien.
Le regard de la femme était rempli de tendresse. Elle posa sa main sur mon épaule, étirant ses lèvres d'un petit sourire.
- Toi non plus tu n'es pas coupable. Pour l'instant tu ne peux pas te venger. Je sais que c'est frustrant, mais acceptes-le. Accroche-toi à ce sentiment pour franchir les étapes une à une. Lâche prise, arrête de te faire souffrir.
Lorsque ces paroles atteignirent mes oreilles, je fondis en larmes, le corps secoué de gros sanglots. Des bras remplis d'une chaleur réconfortante m'entourèrent, tandis qu'une voix bienveillante me murmurait ces mots qui me soulageaient profondément :
- Tu vas y arriver... Nous allons tous y arriver, je te le promets...
Un voile noir se déposa sur mes yeux et je plongeai dans un doux sommeil pour la première fois depuis des jours, un sommeil réconfortant et rempli d'une nouvelle chaleur.

KIMETSU NO YAIBA : Les liens tissés par le temps (Boy Version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant