Chapitre 2

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— Xander !

Les jumelles se levèrent dans des cris de joie pour se jeter dans les bras d'un homme immense, aussi brun qu'elles étaient blondes, et qui dardait ses yeux sombres en direction d'Ellie tout en prodiguant d'aimables paroles à ses sœurs. Ellie, figée sur sa chaise, n'osait plus respirer, prisonnière de l'intensité de ce regard et de la compréhension brutale de la situation : est-ce qu'elle venait d'insulter son employeur juste devant lui ?

— Depuis quand es-tu revenu ? demanda Delilah.

— Pourquoi personne ne nous a prévenues ? enchérit Mary.

— Je voulais vous faire une surprise, répondit-il avant de s'écarter. Je suis arrivé à Londres hier. J'en ai profité pour aller voir notre notaire et conclure certaines choses quant au testament de père.

— Tu ne repars pas, n'est-ce pas ?

— Le bal d'hiver de la comtesse Baring arrive bientôt, on veut que tu nous escortes !

— En effet, je constate que l'on a beaucoup plus besoin de moi ici qu'à Londres.

Ses yeux ne quittaient toujours pas Ellie, qui finit par se racler la gorge et se mettre debout pour entamer une brève révérence. Aucun des deux ne fit remarquer aux jumelles qu'elles étaient encore trop jeunes pour songer à participer à un bal, sans doute car le sujet de conversation actuel était trop sérieux pour s'embarrasser de ce genre de détail mondain.

— Votre Grâce.

— Qui êtes-vous ?

— Qui je... Pardonnez-moi ?

Elle le contempla, perplexe. Il avait pourtant donné son accord à son embauche. Ce n'était pas lui qui lui avait fait passé l'entretien, mais elle se souvenait parfaitement d'avoir entendu lord West affirmer que son cousin avait été tenu au courant et qu'il ne s'y opposait pas.

— Qui êtes-vous ? répéta-t-il, menaçant. Que faites-vous avec mes sœurs, et par tous les saints, que diable étiez-vous en train de leur fourrer dans la tête ?

Elle faillit lui faire observer qu'il venait d'utiliser le mot « saint » et le mot « diable » dans la même phrase, ce que l'église aurait désapprouvé. Mais elle se sentait mal à l'aise devant cette attitude qu'elle n'attendait guère, tout comme la venue du duc qui, aux dernières rumeurs, semblait déterminé à passer sa vie à l'étranger.

— C'est Eleanor, répondit Mary à sa place, aussi perdue qu'elle. Vous l'avez engagée pour être notre dame de compagnie, vous vous souvenez ?

— Je me souviens avoir donné mon aval pour la fille du marquis de Clarence, que j'ai déjà aperçue et qui, de mes souvenirs, ne ressemble en rien à... — il chercha ses mots, incapable de trouver le bon qualificatif — ... ça.

— Mille excuses pour la méprise, répliqua Ellie d'un ton onctueux, outrée de ce manque de respect flagrant. Il se trouve que le marquis est allé conter fleurette après avoir eu sa première fille, et qu'il a décidé tout récemment d'aller récupérer le fruit de cette idylle.

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire venimeux qu'un œil extérieur aurait qualifié d'aimable.

— Votre départ précipité de Londres vous aura sans doute fait manquer l'information.

— Eleanor nous apprend beaucoup de choses, dit Mary, toujours accrochée au bras de son frère. Savez-vous que Delilah a fait beaucoup d'efforts au piano depuis son arrivée ? Et elle me laisse lire autant que je veux !

— Je ne crois pas que passer ton temps le nez dans les livres soit une progression notable, Mary, lâcha le duc entre ses dents. Et si vous sortiez un instant ? Demandez à Rose de vous servir quelque chose aux cuisines, j'ai à parler avec...

La marquise aux yeux vertsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant