En revenant à Foremeon Manor, Ellie s'attendait à essuyer des réprimandes salées. Mais c'est avec leur indifférence habituelle que le marquis et sa femme l'accueillirent au dîner. Béatrice, du fait de son état, prenait ses repas dans son lit qu'elle ne quittait pour ainsi dire jamais.
Ellie n'avait rien d'autre à faire que de contempler son assiette tout le temps que duraient ces réunions forcées. Pour une fois, elle alla à l'encontre de ses principes et glissa un œil vers les deux autres convives. Après quatre mois de cohabitation, elle s'était rendu compte que leur couple tenait plus de l'image que du véritable amour, et leur attitude à table le prouvait encore un peu plus. Ils ne se parlaient pas, ou très peu, restant à distance l'un de l'autre comme deux étrangers.
Ellie se demanda si cette froideur était due à leurs deux caractères ou bien à l'idylle entre le marquis et sa propre mère. Peut-être des deux. Cecelia Robertson, ou plutôt Cecelia Bartlett de par son mariage, était une beauté austère, fruit d'une éducation raffinée et stricte de la bonne société. Elle ne l'imaginait pas en proie à de violents sentiments, pour le marquis ou pour qui que ce soit.
Quant au marquis, eh bien... Il avait laissé sa mère, soi-disant l'amour de sa vie, décliner à petit feu de la maladie pulmonaire qui la rongeait, ce qui en disait long sur sa capacité à prendre soin de ceux qu'il aimait. Ne pas lui proposer le mariage était une chose, mais l'abandonner purement et simplement, sans la plus petite once de remord affichée lorsqu'il s'était retrouvé face à sa fille ?
Ellie n'oublierait jamais son air impassible lorsqu'il avait lâché un simple : « mes condoléances pour votre perte ». Encore aujourd'hui, elle ressentait pour cert homme une vague de haine déferlante qu'elle cachait tant bien que mal sous des sourires crispés et quelques échanges de première nécessité.
— Un message pour vous, monsieur.
Le marquis s'essuya la bouche, surpris de cette correspondance tardive. Ellie regarda par réflexe le cachet de cire et faillit avaler sa bouchée de travers. Elle toussa à plusieurs reprises sous le regard réprobateur de Cecelia qui émit une discrète mais néanmoins audible exclamation de dégoût.
— Que nous veut le duc à cette heure de la soirée ?
Ellie avala péniblement sa viande et demanda à sortir de table.
— Vous n'avez plus faim ? s'étonna le marquis avant de parcourir le contenu de la missive.
Elle ferma les yeux, prête à entendre le châtiment qui adviendrait après ce message. Il était clair que le duc lui faisait un résumé de leur entrevue d'aujourd'hui. Mais un bref sourire satisfait vint éclairer le visage du marquis, ce qui la fit froncer les sourcils. Elle ne s'attendait pas à cette réaction et cela ne lui disait rien qui vaille.
— Le duc souhaite nous rendre visite demain. Une sorte de remerciement pour l'investissement d'Eleanor envers ses sœurs.
Quoi ?
Si elle n'était pas aussi surprise, elle aurait ricané. C'était la raison la plus stupide qu'elle ait jamais entendu pour justifier d'une visite, d'autant plus qu'elle avait été très claire sur son refus d'occuper de nouveau cette charge. Pourquoi s'acharnait-il ainsi ?
— Quel bonheur, se réjouit Cecelia en faisant signe qu'on apporte le dessert. Et quel dommage que Béatrice ne puisse pas en profiter comme il se doit.
— Je suis sûr qu'elle pourra descendre le temps d'une brève entrevue, à moins que le duc ne lui fasse l'honneur de monter la saluer dans sa chambre.
— Ça m'étonnerait, lâcha Ellie à voix basse.
Deux paires d'yeux se posèrent sur elle et Cecelia demanda d'une voix menaçante :
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La marquise aux yeux verts
Historical FictionEleanor, fille illégitime de Josiah Bartlett, marquis de Clarence, a grandi à l'écart dans un milieu modeste. Elle rêve de grands voyages et de liberté mais doit rester aux côtés de sa grand-mère, trop vieille pour s'occuper seule de la ferme famili...