Chapitre 4

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Ellie esquissa une révérence rapide avant de se relever.

— Bonjour, votre Grâce, que me vaut le plaisir de cette entrevue ?

Elle insista sur le terme qui, de fait, prit un sens totalement opposé de sa définition habituelle. Le duc s'en rendit compte mais il lui était impossible d'en faire la remarque : Ellie, en apparence, était d'une courtoisie irréprochable.

— Je suppose que vous venez voir quelqu'un ?

Quelle malchance que leurs chemins se soient croisés juste à ce moment !

— A vrai dire, la seule personne que je désirais voir se trouve juste devant moi.

La réplique était ambiguë et son interlocuteur crut bon de préciser :

— J'avais à vous parler d'un sujet important.

Ellie se sentit vaguement offensée qu'il la pense assez naïve pour croire qu'elle lui plaisait. Elle n'était pas du genre à se pâmer au moindre sous-entendu, qui plus est de la part de ce genre d'individu et encore plus après la façon dont il l'avait traitée. D'ailleurs, s'il lui avait fait de réelles avances, elle aurait pris ses jambes à son cou. Rien de bon ne pouvait advenir d'une relation avec un homme comme lui.

— Comment avez-vous su que j'étais ici ?

Elle ne se souvenait pas d'avoir divulgué à qui que ce soit la présence de sa grand-mère à Sainte-Bénédicte, pas même aux jumelles qui auraient pu l'apprendre à leur frère, dans un moment d'égarement.

— Je me suis d'abord rendu à Foremon Manor, et on m'a dit où vous trouver. A qui venez-vous rendre visite ?

Cette question avait tout de la politesse forcée, aussi ne s'en voulut-elle pas de l'éluder d'une réponse laconique :

— Quelqu'un d'important.

Il attendit la suite qui ne vint pas et fronça les sourcils, peu habitué à un tel mutisme. Ellie, qui trépignait sur place en attendant de pouvoir repartir, enchaîna :

— Puis-je faire quelque chose pour vous, votre Grâce ? De quoi vouliez-vous me parler qui ne pouvait attendre que je rentre chez moi ?

Le cocher ne savait plus où se mettre et le duc lui fit comprendre par son seul regard qu'ils avaient besoin d'un peu d'intimité. Ellie voulut le retenir mais il s'éclipsa sans demander son reste, la laissant seule face à son interlocuteur déterminé à... quoi, au juste ? Lui signifier une nouvelle fois qu'il ne voulait plus qu'elle s'approche de ses sœurs ? Elle avait bien compris lors de leur dernier échange, elle n'était pas idiote.

Mais, à sa grande surprise, le duc paraissait... gêné ? Dépité, en réalité, comme si ce qu'il s'apprêtait à dire n'était pas de son fait.

— Mes sœurs ont été déçues de ne pas vous voir, ce matin. Je crains qu'il n'y ait eu un malentendu.

— Vous m'avez mise à la porte, lui fit-elle remarquer. Je ne vois aucun malentendu là-dedans.

Il se passa une main derrière la nuque, le regard de biais, et Ellie l'observa avec une pointe de surprise. Est-ce qu'il était en train d'essayer de s'excuser ? Ses espoirs furent balayés en quelques secondes lorsqu'il répondit :

— Notre conversation d'hier n'a pas mis un terme officiel à notre accord. Vous êtes toujours tenue d'occuper la charge que vous avez acceptée, malgré mon attitude, disons...

Evidemment qu'il n'allait pas s'excuser, ce n'était pas du tout dans son caractère. Il était plutôt de ceux qui se retranchaient derrière les contrats et leurs obligations, comme aujourd'hui.

— Inamicale ? l'aida-t-elle, ironique.

Tout en pensant : hostile, détestable, hautaine, offensante...

Elle appréciait les jumelles, bien sûr, et le temps passé avec elles la libérait de l'atmosphère empesée de Foremon Manor ainsi que des regards perpétuellement courroucés de Cecelia, sa belle-mère. Mais avec le retour de leur frère, elle ne voyait pas en quoi elle ne serait pas mieux enfermée dans sa chambre. S'il comptait s'investir dans l'éducation de ses sœurs comme il l'avait affirmé, elle n'aurait de cesse d'entrer en confrontation avec lui tant leurs avis divergeaient. Pour sa tranquillité d'esprit et parce qu'elle avait déjà bien assez à gérer de son côté, elle n'avait pas le moindre intérêt à subir son autoritarisme orgueilleux et devait au contraire saisir l'occasion qui lui était donnée de partir.

— Je suis désolée, Votre Grâce, mais vous aviez raison : je ne suis pas faite pour une maison telle que la vôtre. Je vous autorise à m'accompagner pour faire part de votre décision au marquis. Il sera déçu, bien sûr, dit-elle en faisant signe au cocher pour qu'il lui ouvre la porte de la calèche, mais vous avez le droit de choisir ce qu'il y a de mieux pour vos sœurs.

Le duc afficha un air entre le désarroi et la colère. Elle lui sourit, innocente, et esquissa un début de révérence pour prendre congé.

— Non.

— Comment ça « non » ?

— Vous ne pouvez pas... Ecoutez, c'est un malentendu, répéta-t-il.

— Ça n'en est pas un pour moi, Votre Grâce. J'ai beau venir de la campagne, je ne suis pas particulièrement adepte des manières de rustre.

— Vous me traitez de rustre ?

— Je dis que votre attitude d'hier l'était. Pour le reste, je ne vous connais pas.

— Tout le monde me connait, asséna-t-il, dédaigneux. C'est bien pour ça que votre père vous a fourrée dans mes pattes.

— Je ne... On ne me fourre pas... Oh, peu importe, lâcha-t-elle en sentant ses joues chauffer.

Le duc la fixait, se délectant de son affolement. Elle ne s'était rendu compte de la tournure peu gracieuse qu'en l'entendant de sa propre bouche. Pinçant les pans de sa robe avec hauteur, elle grimpa sur le marchepied et s'engouffra dans la voiture.

— Quoi qu'il en soit, je ne reviendrai pas à moins que vous ne me présentiez vos excuses, votre Grâce.

Puisqu'il n'avait pas l'air de le comprendre, elle lui présenta sa condition de but en blanc.

— Des excuses ? répéta-t-il, peu sûr d'avoir compris.

— Tout à fait.

— Je n'ai rien fait qui mérite des excuses.

— Si c'est ce que vous pensez, alors j'ai une nouvelle raison de ne pas accepter votre offre.

— Ce n'est pas une offre, répliqua-t-il. Je vous ai dit que vous étiez liée à...

— Nous pouvons acter d'un commun accord que tout ceci n'était qu'une situation temporaire le temps de votre retour, le coupa-t-elle. Je vous laisser la charge d'éduquer vos sœurs comme la bienséance le demande.

Elle claqua la portièreface à son air médusé, donnant l'ordre au cocher de fouetter les chevaux. Lavoiture s'éloigna dans un nuage de poussière qui dévoila, après s'être dissipé,la silhouette figée et le visage stupéfait du duc, abandonné sur la chaussée. 

La marquise aux yeux vertsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant