Chapitre 11

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— Pourriez-vous faire porter ceci au marquis de Clarence, à Foremon Manor ?

Eleanor tendit la lettre au majordome qui pinça les lèvres en la prenant. Elle croyait passer inaperçue en agissant pendant que les jumelles présentaient à leur frère le résultat de leurs achats, mais il s'était débarrassé d'elles bien plus vite que prévu.

— Que se passe-t-il ici ?

Du haut des escaliers où il se tenait, il dardait sur Ellie un regard féroce. Comme une petite fille prise en faute, elle se recroquevilla sur elle-même avant de se rappeler qu'elle n'était pas en tort. Elle se redressa donc tandis que le duc descendait les marches, prête à lui tenir tête. Le majordome, confus, serrait la lettre dans ses doigts parcheminés en priant pour qu'on ne le rende pas complice de haute trahison.

— Votre Grâce, je...

— Donnez, Wright, ordonna le duc en s'approchant, main tendue.

— Je ne vous permets pas, lança Ellie, courroucée. C'est un courrier privé.

— Rien de ce qui se passe sous mon toit n'est privé, rétorqua-t-il. Et votre visage me paraît trop chargé de culpabilité pour ne pas attirer de soupçons.

Ellie tourna la tête vers le miroir de l'entrée et se rendit compte qu'il avait raison. Elle était rouge comme une pivoine et il lui semblait même voir des gouttes de sueur perler sur son front.

— Ce n'est pas ce que vous croyez.

— Je ne crois rien du tout. Pas encore.

Il tourna et retourna la lettre avant d'ajouter :

— Je peux l'ouvrir ou  vous pouvez me dire ce qu'elle contient. C'est à vous de voir.

— Vous...

Elle s'étrangla de rage devant un tel abus d'autorité. Se souciait-il autant de la correspondance des autres domestiques ? Peut-être bien, après tout. Il avait l'air d'avoir un sérieux souci de contrôle.

— Ça ne vous concerne pas.

— Je l'ouvre, alors.

Il commençait déjà à décacheter le sceau de cire. S'il n'avait pas été duc et elle simple gouvernante, Ellie se serait jetée sur lui pour l'en empêcher. Elle n'oubliait pas qu'elle était ici pour maintenir sa grand-mère à Sainte-Bénédicte et blesser son employeur n'était pas la meilleure façon d'y parvenir.

Elle se mordit la lèvre avant de lâcher, de mauvaise grâce :

— J'informais le marquis du retard d'envoi de mes malles. J'aimerais résoudre cette situation au plus vite.

— Il me semblait vous avoir donné de quoi vous acheter une nouvelle garde-robe.

— Je ne compte pas dépenser d'autre argent que celui que vous me verserez pour mes gages, votre Grâce. Si vous m'aviez laissé l'occasion de vous le dire ce matin, je l'aurais fait, mais vous paraissiez persuadé que mon but était de profiter allègrement de votre fortune.

Ce fut au tour du duc de s'étouffer, surpris de cette attaque imprévue. Le majordome, gêné, bafouilla une excuse inaudible pour s'échapper d'ici. Ellie le regarda partir, impuissante. Sa lettre étant désormais entre les mains du duc, il lui faudrait sans doute en écrire une nouvelle et trouver une autre façon de la faire parvenir à son destinataire.

— Qu'avez-vous fait de cet argent, dans ce cas ?

Sa voix était trop calme pour être sincère. Ses yeux, eux, étaient noirs de colère.

— Vos sœurs avaient besoin d'une tenue pour le goûter de la comtesse. Je leur ai dit qu'il s'agissait d'une attention de votre part et elles étaient ravies.

La marquise aux yeux vertsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant