Chapitre 10

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Ellie se déplaça légèrement et approuva du menton. L'homme se laissa tomber à ses côtés et esquissa un sourire lorsque des murmures se firent entendre autour d'eux.

— A votre avis, demanda-t-il d'un ton faussement songeur, qui de vous ou de moi est en train de les scandaliser ?

— Moi, sans doute. J'ai l'habitude.

Il haussa un sourcil, amusé. Derrière les mèches claires barrant son front, ses yeux verts, étirés comme ceux d'un chat, pétillaient de malice.

— Vraiment ? De plus en plus intriguant. Puis-je savoir à qui j'ai affaire ?

Existait-il donc quelqu'un de la bonne société qui ne soit pas au courant du scandale de sa venue ? Elle songea, goguenarde, que Cecelia serait déçue de savoir qu'elle n'avait pas assez œuvré pour la ruine de sa réputation.

— Mathias, on peut savoir ce que tu fabriques ?

Une blonde à l'air courroucé vint se placer devant eux, les poings sur les hanches. Son regard bifurqua rapidement vers Ellie, détailla sa silhouette du haut de son crâne à la pointe de ses chaussures. Elle dut la juger indigne de son intérêt car elle se retourna aussitôt vers son voisin.

— Tu m'avais promis de m'aider à choisir ma robe et je te retrouve avachi ici sans même te soucier de moi !

— Je t'ai escortée pendant tes essayages de la moitié du magasin, Isabella. Tu ne voudrais pas faire l'autre moitié toute seule ?

L'inconnue émit un bruit discret mais audible de désapprobation avant de pivoter sur ses talons et de repartir en direction des allées, fulminante. Les mains appuyées sur le pommeau de sa canne, le dénommé Mathias se leva et adressa un signe de tête à Ellie.

— Puis-je connaître votre nom ? J'aimerais savoir à qui je dois cet agréable intermède dans ma journée morose.

— Ellie... Eleanor, se reprit-elle. Eleanor Morrow.

Donner le nom de sa mère lui était venu naturellement. Elle aurait peut-être dû se présenter comme la fille du marquis, mais que quelqu'un ici, à Londres, la connaisse sous la seule identité qui en valait la peine était quelque chose de réconfortant.

— Je suppose que je ne fais pas partie de la catégorie autorisée à vous donner ce surnom, sourit-il. J'espère que vous trouverez votre bonheur parmi les merveilles de cette boutique hors de prix... Eleanor.

Dans sa voix, les quatre syllabes avaient une saveur sucrée. Il les fit rouler sur sa langue avec gourmandise, comme si c'était la première fois qu'il les entendait, comme s'il ne s'agissait pas d'un des prénoms les plus banals de toute l'Angleterre. Ellie le découvrait aujourd'hui sous une nouvelle facette, et elle devait admettre qu'il ne lui déplaisait plus tant que ça.

Il s'apprêta à partir lorsque, prise d'une impulsion soudaine, elle osa lui demander :

— Et à qui ai-je affaire, Monsieur ?

— Mille excuses, il est vrai que je ne me suis pas correctement présenté.

Il se pencha pour s'emparer de sa main et y appuyer ses lèvres une brève seconde. Ce fut suffisant pour faire naitre un étrange picotement au bout de ses doigts, qui remonta le long de son bras et alluma le brasier de ses joues.

— Mathias Harcourt, pour vous servir.

Sa connaissance du monde de la noblesse était limitée mais son instinct lui soufflait que cet homme ne faisait pas partie de la simple bourgeoisie. D'apparence, mais surtout de manières, il lui apparaissait comme le pur produit de l'éducation soignée que les titrés se targuaient d'offrir à leur progéniture. Elle se promit d'effectuer des recherches sur la famille Harcourt en retournant au manoir. Juste par curiosité.

La marquise aux yeux vertsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant