Chapitre 8

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Ce n'était pas un cauchemar, mais bien la réalité.

Ellie portait chaque cuillère de porridge à sa bouche en faisant de son mieux pour passer inaperçue. Cela passait, entre autres, par une volonté ferme de respirer le moindre possible, et pourquoi pas glisser le long de sa chaise pour disparaître sous la table du petit déjeuner.

Elle se sentait mal à l'aise de partager ce moment familial. Qu'il était loin le temps où elle se contentait d'une bouchée de pain sous les reproches de sa grand-mère avant de foncer à travers champs pour rejoindre Harriet et Edan !

Cela n'avait non plus rien à voir avec les déjeuners animés en la seule compagnie des jumelles. C'était... pesant.

En parlant des jumelles, ces dernières étaient engagées dans un débat houleux sur la suprématie des rubans par-rapport aux bandeaux. Le duc, régulièrement pris à parti en tant que « regard masculin », paraissait vouloir se trouver partout sauf en leur compagnie. Il n'avait aucune idée de ce qu'elles étaient en train de raconter et se contentait de brefs grognements entrecoupés de gorgées de thé, déjà lassé de cette surveillance d'Ellie qu'il s'était imposée alors qu'il aurait pu prendre son repas au calme dans sa chambre.

Car il ne faisait aucun doute qu'il la surveillait : dès son arrivée dans la salle à manger, il avait scruté le moindre de ses faits et gestes, prêt à lui faire la moindre remarque si elle s'avisait de dire quoi que ce soit d'inadapté.

Ellie ne comptait pas se donner en spectacle, en tout cas pas tout de suite. Elle attendrait le bon moment pour reprendre ses habitudes et ne pas se faire bâillonner par un noble autoritaire. Elle se savait dans son bon droit et refusait d'abandonner les jumelles au triste sort qu'on leur réservait. Pour l'instant, elle attendait. Elle souriait poliment, acceptait de rester en retrait. Mais elle s'en était fait la promesse solennelle, elle ne resterait pas ainsi bien longtemps. C'était tout autant une question de principe que d'ego personnel.

- ... n'est-ce pas, Eleanor ?

Elle battit des cils, surprise. Elle s'était plongée dans ses pensées à un point qu'elle en était sortie de la conversation. Delilah fronça les sourcils, courroucée de ce manque d'attention.

- Pardon, Delilah ?

- Vous allez nous accompagner au goûter de la comtesse de Lovell, n'est-ce pas ?

- Si votre frère m'en donne la permission.

Elle se fit un malin plaisir de lui rappeler qu'il s'était octroyé tout pouvoir sur elle. Cela ne manqua pas, le duc fronça lui aussi les sourcils, ce qui lui offrait une ressemblance frappante avec sa cadette.

- Il me semble que chaperonner mes sœurs est votre principal devoir. Je ne vois pas pourquoi je vous en empêcherais.

- Bien sûr, votre Grâce.

Elle lui adressa un fin sourire dont il perçut la raillerie. Furieux, il crispa sa main sur sa fourchette sans pour autant relever cette impertinence. Bien que cela le frustre, Ellie n'avait pas clairement outrepassé les règles de bienséance. Cette dernière était décidément trop futée pour son propre bien.

- J'ai tellement hâte ! se réjouit Mary.

- Vos bagages ne sont pas encore arrivés ? demanda Delilah en jetant un coup d'œil perçant sur la tenue d'Ellie, la même que la veille.

- Hélas non, regretta Ellie qui s'en doutait plus ou moins.

Comme prévu, Cecelia n'avait pas émis la moindre volonté de lui apporter ses malles, peut-être même qu'elle avait ordonné de jeter l'intégralité du contenu de sa chambre au feu. Cela risquait d'être problématique si elle devait tenir son rang et accompagner les sœurs d'un duc dans leurs moindres déplacements.

La marquise aux yeux vertsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant