Chapitre 7

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— Je vous demande pardon ?

— Pourquoi me poursuivre jusque chez moi pour me convaincre de revenir à votre service ?

Il pivota son visage de la fenêtre et se tourna vers elle, agacé.

— Je ne vous poursuis certainement pas.

Ellie ne répondit pas mais ses yeux étaient éloquents, lui rappelant, en plus de sa visite en grande pompe chez le marquis, sa présence inopinée à Sainte-Bénédicte. Le duc se racla la gorge.

— En quoi est-ce important ? J'ai changé d'avis, voilà tout.

— Avec tout le respect que je vous dois, votre Grâce, j'ai du mal à croire qu'il soit si facile de vous faire changer d'avis.

— Mes sœurs vous demandent, est-ce là une explication qui vous satisfait ?

— Vos sœurs, mais pas vous.

Les mâchoires du duc se crispèrent. Il bifurqua son regard un bref instant avant de l'ancrer à nouveau dans celui d'Ellie, qui le soutint avec détermination. On n'entendit plus pendant une longue minute que le claquement régulier des sabots des chevaux.

— Le bonheur de mes sœurs est la seule chose qui m'importe, lâcha-t-il du bout des lèvres. Et ce qu'elles désirent, elles l'obtiennent, tant que je considère qu'il n'y a pas de danger pour leur réputation.

— Vous considérez donc que je suis sans danger pour leur réputation ?

— En aucune façon. Mais je suis là pour veiller à ce que vous gardiez vos idées idiotes dans votre petite tête.

— Difficile de rester muette si je dois me charger de leur éducation.

— Ce ne sera pas le cas.

La réplique avait fusé, catégorique.

— Quel sera mon rôle, alors ?

— Rien de plus que leur tenir compagnie et leur servir de chaperon durant leurs sorties. Pour le reste, j'engagerai un précepteur qui se chargera de leur inculquer les valeurs essentielles à leur entrée en société.

— Obéissance et sottise, donc. Votre affection pour vos sœurs est en effet sans limite, votre Grâce

Les yeux du duc étincelèrent d'une rage contenue et ses poings se serrèrent. Ellie les observa en se demandant s'il oserait la frapper. Jusqu'à présent, il avait fait preuve d'une étonnante maîtrise de lui-même au vu de son caractère, et ce n'était sans doute qu'une question de temps avant que son naturel ne prenne le dessus. Mais il souffla lentement par le nez, les narines frémissantes, et détourna son regard vers le paysage. La conversation était close.

Il n'y eut plus un seul mot d'échangé jusqu'à leur arrivée à Dawton House. Lorsque la voiture s'immobilisa, Ellie bondit plus qu'elle ne sortit de la voiture, refusant sans le vouloir l'aide du valet qui garda la main tendue dans le vide deux bonnes secondes avant de prendre conscient de l'affront. Le duc secoua la tête en sortant à son tour, conscient, s'il ne l'était pas déjà, de l'erreur qu'il avait faite en la ramenant.

— Il va falloir travailler vos bonnes manières si vous désirez côtoyer mes sœurs.

— Je suis ici par votre faute, votre Grâce, rétorqua Ellie en se tournant vers lui. Mes manières sont ce qu'elles sont, et vous avez encore la possibilité de me renvoyer.

Elle lui adressa un charmant sourire tandis que Mary et Delilah sortaient du manoir en criant.

— Eleanor !

— Vous êtes revenue !

Elles s'accrochèrent à ses jupes avant que le duc ne puisse répondre quoi que ce soit. S'ils avaient été dans une partie d'échec, Ellie aurait pu fièrement lancer : « Echec et mat ».

— Vous nous avez manqué, lança Delilah, accusatrice. Pourquoi êtes-vous partie ?

— J'étais un peu souffrante, éluda Ellie sans regarder le duc, qu'elle devinait tendu derrière elle.

Bien sûr, il voulait garder le beau rôle : le grand frère attentionné qui ramenait au bercail la gouvernante réfractaire de ses sœurs adorées. Quel beau tableau. Aucun doute sur le fait qu'il ne lui montrerait pas la moindre reconnaissance pour ce mensonge.

— Heureusement que Xander vous a ramenée, se réjouit Mary en battant des mains. Vous serez toujours à nos côtés désormais, n'est-ce pas ?

Ellie songea qu'elle partirait dès que l'occasion lui serait donnée, mais elle n'avait pas le cœur de briser l'enthousiasme des jumelles. Elle hocha la tête, attirant un nouveau concert d'exclamations joyeuses.

— Qu'avez-vous fait durant votre absence ?

— Avez-vous participé à un bal ?

— Je vous ai dit que j'étais malade, répondit Ellie, la tête bourdonnante. Et aucun bal ne s'organise en seulement quelques jours, Mary.

— Calmez-vous un peu, gronda le duc.

Mary et Delilah lui jetèrent une œillade distraite, Ellie l'ignora tout à fait. Néanmoins, le calme revint parmi les rangs, et tous purent se rendre au manoir où les attendait le majordome, les lèvres pincées. Un tel vacarme nuisait à la bonne réputation de la maison qu'il essayait de tenir.

— Votre Grâce, salua-t-il avec une courbette respectueuse. Le dîner vous attend.

Ellie n'avait pas faim et désirait monter directement dans sa chambre, mais elle ignorait laquelle des dizaines de pièces disponibles lui était réservée. Peut-être que le duc n'avait même pas pensé à ce genre de détails et qu'il lui faudrait se reposer cette nuit dans les appartements des jumelles. Après tout ce qu'elle avait subi de sa part, elle n'était plus à ça près.

— Conduisez-la dans sa chambre, Wright, ordonna le duc au majordome, lequel se releva de sa courbette avec un air courroucé.

Je ne suis pas un valet, semblaient hurler ses yeux d'un bleu délavé, mais un désir ducal ne pouvait être refusé.

Ellie resta un instant stupéfaite de cette attention, mais songea ensuite que le duc désirait sûrement un temps d'intimité avec ses sœurs pour leur expliquer les conditions drastiques liées à son retour. Elle le remercia du bout des lèvres et il hocha la tête avec le même enthousiasme avant de faire signe aux jumelles de le suivre dans la salle à manger.

— Vous la verrez demain, dit-il en réponse à leurs plaintes.

Lorsqu'ils disparurent, Wright grogna et se mit en route. A l'instar de Rose, lui non plus n'avait jamais apprécié Ellie, autant à cause de son attitude loin du carcan protocolaire qu'il vénérait que parce que la cuisinière, était son épouse, et il était de son devoir conjugal de partager ses avis sur les gens et les choses.

Ellie lui emboîta le pas, et tous deux escaladèrent l'immense escalier central jusqu'au premier étage, traversant le long couloir éclairé par des chandeliers dorés accrochés aux murs. Sur ces derniers se reflétaient leurs ombres tremblotantes, semblables à des fantômes.

— La chambre de l'ancienne gouvernante, dit-il en désignant une porte du menton. La vôtre, désormais.

Il regarda autour d'elle comme si elle était une pestiférée.

— Vous n'avez pas de bagages ?

— Ils devraient arriver plus tard, répondit-elle après un temps d'hésitation.

Connaissant Cecelia, cela devrait mettre plus de temps que prévu, voire ne jamais franchir le seuil de Foremon Manor. Le majordome laissa échapper un petit bruit dédaigneux avant d'acquiescer, la laissant prendre possession de ses quartiers sans plus rien ajouter.

Ellie n'avait qu'une envie : s'enfermer à double tour et se lover sous les couvertures. Joignant l'acte à la pensée, après avoir tourné le verrou de la porte, elle se laissa tomber sur le lit et rabattit les draps au-dessus de sa tête sans prendre la peine de se déshabiller. Elle savait qu'elle le regretterait au réveil, mais elle n'avait pas la force de délacer son corset et de s'extirper de ses jupes. Elle ne désirait qu'une chose : dormir. Dormir et tout oublier.

Et peut-être qu'aprèsune bonne nuit de sommeil tout ceci se révèlerait être un simple cauchemar, quisait ?

La marquise aux yeux vertsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant