Chapitre 12 - Des aveux risqués

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* 14 novembre 2019

Cela fait plus de deux mois que Tonio est décédé et qu'Élie est dans le coma. Si je n'avais pas les courses, je serais au fond du trou. Je me motivais à rester en forme, à travailler dur, pour qu'Élie soit fière de moi à son réveil, mais plus les jours passaient et plus l'espoir de la voir se réveiller diminuait.

Son changement de chambre à l'hôpital avait été une excellente chose, elle recevait de la visite tous les jours, Paul et Louis venaient la voir quasiment tous les jours. Nathalie venait la voir une fois par semaine, et ma mère passait trois jours par semaine à Paris aux côtés d'Élie, quand David rentrait à Évreux pour travailler.

Quand elle m'avait expliqué sa décision d'aller à Paris, je m'étais effondré en larmes. Elle avait discuté avec mon père, lui expliquant qu'elle pensait que ça me ferait du bien de savoir qu'Élie n'était jamais seule trop longtemps. Elle avait raison, malgré la peur de voir son état se dégrader, je m'inquiétais moins sachant que quelqu'un était auprès d'elle. Et puis ma mère considérait qu'Élie faisait partie de la famille, alors elle s'inquiétait, elle aussi beaucoup.

L'état d'Élie était toujours le même, pas de rechutes, aucun nouvel arrêt respiratoire, et toutes ses coupures et blessures avaient guéri. Il n'y avait que les traumatismes et l'œdème au niveau de son cerveau qui semblaient encore inquiéter les médecins. Et bien sûr le fait, qu'elle ne se réveillait pas.

Nous étions cette semaine à Interlagos, pour le Grand Prix du Brésil. J'étais installé dans le motor-home Toro Rosso en attendant l'heure de mon passage pour la conférence de presse. Depuis quelques semaines, les questions sur Anthoine s'étaient arrêtées. Ils ne me demandaient plus comment je me sentais par rapport à l'accident, et c'était pour le mieux. Ils espéraient quoi en me posant ce genre de questions. Que je leur mente en disant que j'allais bien, ou m'entendre leur dire que j'étais complétement anéanti et que je n'arrivais pas à me relever...

« Pierre ? »

Je me retournais et apercevais Franz, le team principal. Il s'approcha et s'installa sur le canapé face à moi.

« Bonjour Franz ! Vous allez bien ?

- Oui, et toi Pierre, comment tu te sens ? On n'a pas encore vraiment pris le temps de parler de tout ça. »

Je soufflais, qu'est-ce que j'en avais marre de cette question. Mais je ne pouvais pas y échapper, c'était une forme de politesse.

« Je tiens le coup... Enfin, on va dire ça.

- Je sais que c'est dur pour toi. Ce n'est pas une situation facile à vivre. Je sais que tu n'as peut-être pas envie d'en parler, mais il faut qu'on parle un peu de l'année prochaine.

- Oh... Je suppose qu'avec tout ce qui s'est passé et mes mauvais résultats vous ne voulez plus me garder. C'est ça ? »

Je savais que ça allait finir par arriver. Si Red Bull m'avait rétrogradé, ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils fassent de même chez Toro Rosso. J'aurais voulu leur montrer que j'étais un bon pilote, mais avec tout ce qui était arrivé.

« Quoi ? Non pas du tout ! Tu sais, on pensait que tu allais t'effondrer après ce week-end à Spa. Mais au contraire, tu as été brillant. Sur les six courses qu'on a faites, tu as terminé trois fois dans les points, et sinon à chaque fois, tu nous faisais de superbe remontées. On n'a pas non plus une voiture au top niveau, on ne peut pas te demander la lune, même si on aimerait te voir faire des miracles.

- Alors où est le souci ?

- Il n'y a pas de soucis. On te veut dans notre équipe pour la saison de 2020. À toi de nous dire, si tu veux continuer en Formule Un, ou non. Je sais que pour le moment, tu tiens le coup parce qu'Élie est encore dans le coma, on se doute que si le pire devait se produire...

- Franz, si Élie ne survit pas, je ne serai plus en état de conduire. Je serais bien trop dangereux pour les autres pilotes. »

Il fallait que je lui dise, parce que pour le moment, je tenais le coup. Je supportais la douleur de leurs absences, peut-être parce que j'avais encore l'espoir qu'Élie se réveille. Mais je savais qu'à la seconde, où j'apprendrais qu'elle... Enfin, je savais que je ne serais plus que l'ombre de moi-même.

« Tu...

- Si elle venait à... À... Enfin, je vous demande de ne pas me laisser monter dans une voiture, si vous sentez que je ne suis pas en état. Je...

- D'accord. Écoute, je n'aime pas vraiment ce que tu me dis là, mais je suis content de savoir que tu aies eu le courage de le dire. Je sais ce que c'est de perdre un être cher, je sais à quel point ça fait mal, et combien il est dur de s'en relever.

- Oui, je sais qu'en vous disant ça, je risque ma place. Je veux continuer à courir, j'ai promis à Élie de montrer au monde entier mon talent pour la Formule Un, je ne veux pas abandonner... Mais je ne sais pas de quoi le futur sera fait, je devais être honnête.

- Tu as bien fait. Tu as très bien fait, au moins, je sais comment réagir. Pour le moment, nous, on veut te garder, et je ne parlerais pas de ça à qui que ce soit, pour ne pas te mettre en danger, mais je sais. Bon... Pour le moment, on ne va plus en parler, d'accord ? Mais sache que si tu as besoin de parler, je suis là.

- D'accord, merci.

- Bon, je voulais en revenir à l'année prochaine, il va y avoir un peu de changement.

- Je croyais que vous gardiez Daniil aussi ? »

J'avais mal compris ce qu'il m'avait dit ou... ?

« Ah oui, oui. Pas de changement chez les pilotes. Mais le nom de l'écurie va changer.

- Ah bon ?

- Oui, Red Bull a lancé une nouvelle marque de prêt-à-porter et on va remplacer Toro Rosso, par le nom de la nouvelle marque Alpha Tauri. Pour faire de la pub.

- Ça reste dans le thème.

- Ensuite, j'ai pensé au fait que tu voulais quitter Bologne, pour emménager à Paris.

- Je...

- Bien sûr, je comprends tout à fait pourquoi, et si dans le fond, je pense que c'est une bonne idée, j'aurais une autre solution à te proposer.

- Je vous écoute.

- Milan. »

Je le regardais étrangement, Milan ? Je ne comprenais pas vraiment pourquoi.

« Pourquoi Milan ?

- Ce n'est qu'à une heure et demie de vol de Paris, et quarante-cinq minutes de Faenza. L'équipe va investir dans un jet pendant l'intersaison. Tu pourras donc t'en servir pour faire les allers-retours entre Paris et Milan, pour aller voir Élie. Et comme ça, tu n'es pas trop loin de l'usine.

- C'est vrai que c'est une bonne idée. C'était un peu pour ça que je ne voulais pas vraiment quitter Bologne.

- Alors écoute, regarde si tu te trouves quelque chose qui te plairait là-bas, mais je pense que ça serait une bonne idée. »

Je hochais la tête sans lui répondre. Milan n'était pas une mauvaise idée, j'avais eu un véritable coup de cœur pour l'Italie depuis mon arrivée à Bologne. Et ma décision de rentrer en France, c'était simplement pour être plus proche d'Élie et de l'hôpital. Mais on ne sait jamais de quoi l'avenir sera fait.

Après quelques minutes, il m'indiqua qu'il était l'heure de rejoindre la conférence de presse, et je rejoignis mon manager, ainsi que le community manager, pour assister à la pire heure des week-ends de Formule Un.

Winter Practice - Pierre Gasly 🤍Où les histoires vivent. Découvrez maintenant