Chapitre 6 : Tu veux jouer aux burnes ?

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Message privé : LéaPoutrin : Salut Dani, comment vas-tu ? Ça fait super longtemps.

Je supprime, je bloque.

Des messages, d'ex camarades - n'oublions pas les guillemets - j'en reçois une quantité non négligeable. Ils affluent en cadence avec le nombre de mes abonnés. C'est intéressant comme les souvenirs peuvent être biaisés, voire carrément transformés quand on dépasse le million de followers.

Le passé se déforme, laisse place à une belle amitié de jeunesse. Les bourreaux deviennent de vieux potes perdus de vue. "On rigolait bien ensemble" disent-ils aujourd'hui alors que les plus lâches se contentent d'un "On n'était pas d'accord" ou pire " On ne savait pas". Qu'il fasse semblant d'avoir oublié, moi, je me souviens de tout. Des brimades en douce, des moqueries, des coups bas ou tout court. Je me rappelle de toutes ces personnes, celles qui ont agi et celles qui ont détourné le regard.

— Arrête de faire la gueule, m'intime Hanaé.

— Je ne fais pas la gueule.

— Tu as ce pli sur le front quand sur es contrarié

Je passe instinctivement une main sur mon front et tente de l'ignorer. Attablé devant mon dîner, un bol de céréales, j'essaie de faire abstraction de ma sœur, toujours sur mon dos depuis dix minutes.

— C'est la fille du forum ? m'interroge-t-elle.

Cette fois, je redresse la tête et la fusille du regard.

— Tout doux Dani ! Nora m'a dit que tu avais passé la soirée avec elle ce week-end, avoue-t-elle en levant les yeux au ciel.

Dans cette famille, les informations circulent plus vite que dans les bureaux du KGB. Entre les visites quotidiennes, le groupe WhatsApp que je persiste à quitter quand ma sœur me réintègre de force, autant dire, qu'ici, avoir un secret est devenu un luxe.

— Alors c'est à cause d'elle ? insiste-t-elle.

Exact, nous avons dîné ensemble il y a trois jours et depuis, aucune nouvelle. Elle a dit "on s'appelle" et je cherche encore à comprendre pourquoi elle ne me rappelle pas. Pas un message, même pour prendre des nouvelles de sa plante.

Les cris stridents dans l'entrée me sauvent d'un interrogatoire certain et m'empêchent, au passage, de me demander pourquoi, moi, je ne le fais pas. Ma nièce débarque dans la cuisine comme un boulet de canon, affublée d'une robe en tulle et d'un legging rose déjà taché aux genoux. Ses petites tresses blondes suivent le rythme effréné de sa course. Hanaé l'intercepte pour lui claquer un bisou sonore sur la joue mais l'enfant s'agite et se précipite dans ma direction. Elle agrippe ma manche en tentant de monter sur le siège vide à ma droite et pose sa tête sur mon bras avant de plisser les yeux devant mon air absent.

— Tonton, tu boudes ? me demande Lou, en piquant l'un de mes Chocapics échoué sur la table.

— Non,

— Tu veux jouer aux burnes avec moi ?

Je pivote vers elle, bouche entrouverte, pas certain d'avoir bien entendu.

— Aux quoi ?

— Bah oui, aux burnes, maman m'a dit que c'est des billes !

— Tonton pense à une fille, élude Hanaé.

Oh bordel, pauvre gamine !

— Oh ! c'est ton namoureuse ? s'exclame ma nièce en tentant désormais de piquer ma cuillère. Sans succès.

Finalement, c'est mieux que son histoire de burnes.

— Non

— Lou, tu vas bientôt dîner ! gronde Nora en entrant dans la cuisine, le bruit de ses talons claquant sur le carrelage.

Dani a commencé à vous suivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant