Changement

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Le papier-peint terni est couvert de tâches verdâtres. Yuri se focalise sur un mur en particulier. L'humidité y ronge des formes étranges, semblables à des visages. Leurs bouches béantes sont dépourvues de dents, assez profondes pour que Yuri ait l'impression de pouvoir y tomber s'il les fixe trop longtemps.

Crispé, Yuri se redresse péniblement. Il n'ose pas détourner le regard.

Le mobilier est minimaliste, fêlé et peinturluré de partout. Le revêtement d'un gros radiateur en fonte s'écaille, la température est rigoureuse, bien que le mois de juillet touche à sa fin.

Yuri n'est plus à Toronto.

C'est quoi, cette merde ? Il relève une main devant son visage, surpris de constater la petitesse de ses doigts. Soudainement, il reconnaît cet endroit. C'est sa chambre d'enfant à Moscou.

Ce n'est pas un véritable souvenir qui lui vient cette nuit, c'est une image reconstituée par son cerveau. La vaisselle peinte et le large coucou en face de lui n'étaient pas accrochés à la cloison de sa chambre, ils proviennent de l'arrière-plan du seul cliché de ses parents qu'il avait en sa possession.

Les rêves de l'enfance de Yuri se raréfient mais ils comportent un point commun : l'écho de pas et le bruit de conversations provenant de la cage d'escalier. L'espace d'un instant, il se demande si sa mère, qu'il évite soigneusement dans la fiction comme dans la vie, va passer le seuil de la chambre afin de lui parler.

Katarina ne le fait pas. Une seconde voix se joint à la sienne. Masculine, rauque et pourtant modulée, Yuri devine qu'elle appartient à Maxim. Il ne distingue pas le sujet de leur engueulade, il ne sait d'ailleurs pas non plus si ce souvenir est réel.

La jeune femme hausse le ton, encore et encore, jusqu'à hurler. Par réflexe, Yuri porte les mains à ses oreilles. Ce n'est qu'un rêve, se répète-t-il. Les exclamations fendent l'apaisement du soir. L'intonation de Maxim est plaintive, la porte claque. Puis, seuls les talons hauts de Katarina résonnent dans le salon.

Yuri sent le goût de lait rance sur sa langue, son dîner. Étrangement, il ne ressent pas la faim. La douleur est également absente.

Inopinément, une large paume se pose sur l'épaule de Yuri. Il se débat dans un sursaut. Il se réveille, emmêlé dans les couvertures et étourdi. La main ne l'a pas lâché.

Otabek se tient à quelques millimètres de Yuri. Le domicile des Leroy est bel et bien endormi, bercé par le passage lointain des voitures.

— C'était un cauchemar ? demande celui-ci.

Les doigts d'Otabek glissent jusqu'au front de Yuri, où ils décollent quelques mèches plaquées par une fine couche de transpiration. Ils ancrent Yuri dans la réalité.

— Ouais, croasse-t-il. C'était celui avec mon père.

Ce n'est pas inattendu que ces songes réveillent Yuri. Par le passé, elles lui avaient causé bien des insomnies. Il collectionne les mauvais souvenirs comme on accroche des trophées au mur.

— Comment tu te sens ? se préoccupe Otabek.

— C'était qu'un rêve, rassure Yuri. C'est pas bien grave.

La crevasse entre les sourcils d'Otabek s'accentue.

— Tu en es certain ? insiste-t-il.

Yuri hoche la tête. C'est rare qu'il pense à Maxim. Le mauvais rêve a été remplacé par la réalité, le spectre des souvenirs ayant trouvé une forme en chair et en os. Yuri songe aux longs cheveux frisottants et aux tâches de rousseur, aux doigts fins enroulés autour d'une tasse de café et aux lèvres pincées, aux excuses et aux regrets.

Glory & Gore - Yuri on Ice (2/2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant