Démons

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Les clichés racontent que Saint-Pétersbourg est grise, et, cette semaine, la météo se voue à les perpétuer. Un voile de brume persiste sur la ville, le ciel ainsi que les rues sont désaturées, les piles de neige bordant la route se fondent dans la couleur de l'asphalte.

La tête de Yuri repose sur les genoux d'Otabek alors qu'ils sont installés dans le salon. Potya se fraye un chemin sur le sofa, elle s'allonge sur l'estomac de son maître. Ses lunettes sur le nez, Otabek est plongé dans un livre, une édition ancestrale des Hauts de Hurlevent. La couverture laminée brillante laisse supposer à Yuri que ça doit être un cadeau de sa mère, qui semble partager son amour pour la littérature — en particulier pour les vieilleries.

Otabek lit à haute voix, Yuri l'écoute d'une seule oreille. C'est une histoire d'amour qui contraste avec les lectures habituellement fleur bleue de son petit-ami. Yuri croit que c'est un truc à propos de vengeance et de fantômes.

Bien qu'ils n'habitent pas les terres sauvages décrites dans l'ouvrage, le vent frappe le mur de l'appartement avec vigueur. Les pensées de Yuri s'assombrissent, comme portées par les bourrasques. Il songe au temps où Evgeniya lui lisait des histoires.

Grand-Mère avait transmis de nombreuses légendes à Yuri, c'est pour cette raison qu'il avait accepté de patiner sur l'Oiseau de Feu sans sourciller, même si Stravinsky est vu et revu. Il ne se passe pas un jour sans que ce programme ne lui fasse penser à sa Babulya. Bien qu'un peu brusque, elle était bienveillante, prête à accorder une seconde chance à son prochain.

Yuri serre les doigts autour de son téléphone. Il lutte contre l'envie de l'allumer et de scruter une énième fois le message que lui a expédié son père. Il a lu et relu ces lignes des centaines de fois lors de ses insomnies de peur que les lignes ne s'effacent.

Le retour d'un père absent, c'est une histoire vieille comme le temps — c'est un récit qui fait toujours aussi mal.

Perdu dans ses pensées, Yuri ne remarque pas que son petit-ami a cessé de manipuler le livre. Yuri relève la tête lorsque celui-ci passe la main dans ses cheveux afin d'attirer son attention.

— Tu veux en parler ? suggère Otabek.

Yuri avait oublié le pouvoir de télépathie de son partenaire.

— J'en sais rien.

Ils n'ont pas vraiment discuté du message, Yuri devine qu'Otabek meurt d'envie de le questionner. Ses longs regards lorsqu'il songe que Yuri ne le remarque pas parlent pour lui.

— Désolé que ça te tombe dessus, ajoute Yuri.

Otabek pose le livre sur le sol, il se redresse sur le canapé. Sa seconde main ne quitte pas la chevelure de Yuri.

— Ce n'est pas de ta faute si ta famille est compliquée.

C'est le moins qu'on puisse dire. Sa mère et son père sont des bons à rien qui l'ont abandonné. C'est rarissime.

— Quand même... D'abord je t'emmerde avec ces histoires avec Katarina. Maintenant, c'est...

— Combien de fois je me suis pris la tête avec Maman devant toi ?

De mémoire, Yuri peut en compter un paquet. C'est sans compter les fois où Sofia passe des savons à Otabek au téléphone, le matraquant d'un mélange de kazakh et de russe qui fait siffler les oreilles de Yuri. La relation d'Otabek avec sa mère s'est nettement améliorée, mais ils conservent leurs désaccords.

— C'est pas pareil ! rétorque Yuri.

— Je t'ai traîné en road trip pour régler mes problèmes familiaux.

Glory & Gore - Yuri on Ice (2/2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant