Âme

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NOVEMBRE

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Les chauffages du studio sont poussés au maximum. Yuri est installé dans son lit, un plaid est posé par-dessus sa couette. L'ordinateur portable à ses pieds et Potya sur ses genoux lui procurent un peu de chaleur.

Yuri rafraîchit frénétiquement le livestream des Internationaux de France. Otabek passe dans le dernier groupe. Le décalage horaire avec Grenoble joue en la faveur de Yuri, il a la chance de pouvoir le voir patiner après son entraînement.

Intégralement vêtu d'ébène, Otabek progresse vers le centre de la piste. Les sequins à ses épaules brillent sous les spots, le collier qu'il porte à son cou réfléchit quelques rayons. Yuri reconnaît le bijou de loin, c'est celui qu'il avait offert à Otabek lors de son dernier jour à Almaty. Le porte-bonheur où le prénom de Yuri est gravé.

Le regard baissé sur la glace, les bras écartés au niveau de ses côtes, Otabek est impassible. Yuri espère que la babiole lui portera effectivement chance.

Une harpe sonne les douze coups de minuit, annonçant le début de la prestation. Des violoncelles et des contrebasses précèdent les premiers pas de la Danse Macabre de Camille Saint-Saëns.

Les pas chorégraphiés d'Otabek mettent en scène l'arrivée de la Faucheuse. Simultanément avec le huitième pas qu'il exécute, un violon soliste émerge. Otabek s'élance dans son quadruple Salchow.

La Mort accorde ses instruments, elle fait gémir les cordes et les vents, elle invite le public à danser avec elle. Les mouvements d'Otabek sont élégants mais puissants, du triple Axel jusqu'aux pirouettes qui mènent à sa combinaison quadruple boucle piquée et triple boucle piquée. Il se réceptionne sans osciller.

Otabek a réussi ces sauts des dizaines et des dizaines de fois devant Yuri. Il ne détache pourtant pas les yeux de l'écran. Il est fasciné par la façon dont Otabek bouge. Ses muscles se tendent visiblement, son dos se courbe légèrement avant de sauter, ses bras s'étendent gracieusement vers le plafond.

Yuri a passé toute une vie à se comparer aux autres, cependant, aucun athlète ne se rapproche d'Otabek. Yuri ressent une pointe de jalousie, mélangée à de la fierté de se dire qu'ils sortent ensemble.

La salle se calme durant quelques secondes. Le public retient son souffle, mais la Mort est insatiable. Le violon reprend prestement son récital macabre, Otabek enchaîne sur la dernière combinaison de pirouettes. Le hautbois guide la valse, le rythme du morceau est infernal.

Soudainement, tout s'arrête. Otabek lève un bras ainsi que les yeux vers le ciel. Les applaudissements éclatent dans la patinoire, sa bouche s'étire imperceptiblement. C'est cathartique pour Otabek de danser la mort, de dompter cette douleur fulgurante qui fait partie de sa vie.

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L'échauffement avant les programmes longs débute le lendemain à sept heures et demie tapantes, Otabek ne peut pas traîner au téléphone. Les murs de sa chambre sont fins comme du papier, Frank occupe la pièce à côté. Otabek murmure dans le combiné et Yuri s'exprime à voix basse.

— N'empêche... chuchote Yuri. Entre la Danse Macabre et le Sacre du Printemps, tu penses pas que ton thème pour la saison est un peu sinistre ?

Otabek hausse un sourcil. Il renvoie la remarque à Yuri :

— Techniquement, tu interprètes aussi la mort, même si tu la déjoue en revenant sur scène. L'Oiseau de Feu est une métaphore de la vie et de la mort. Enfin, de la renaissance, si tu veux...

Glory & Gore - Yuri on Ice (2/2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant