1. Larmes à Bomono Gare.

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Je m'assoie sur un tabouret, et les mains tremblantes, j'appuie sur le bouton « envoyer ».
Mon coeur tambourine fort dans ma poitrine et je me mets à attendre. Attendre que s'affiche sur mon écran les six lettres que j'attends depuis un an déjà « admise »
Mon année avait été productive, et malgré de petits problèmes financiers j'avais quand même réussi à faire le maximum pour décrocher cet examen. J'ai révisé sans relâche, traité des centaines d'épreuves et le jour j je me sentais prête. Je penses avoir bien composé.
Je pense que je mérite de passer.

Je regarde encore une fois mon téléphone à boutons, ici on les appelle « tchoronko » ou « parpaings » . Ces petits téléphones à boutons très bruyants et super résistants.
Je vérifie mes messages, rien de nouveau.
Mon coeur va exploser. J'en ai marre d'attendre mais à vrai dire je préfère être ici que devant le barbillard de mon école, le Lycée de BOMONO, avec tous les regards sur moi attendant de savoir si oui ou non j'ai eu mon examen.
Le nouveau système que le ministère de l'enseignement secondaire a trouvé pour nous délivrer les résultats est révolutionnaire. Plus besoin d'aller à l'école regarder les résultats, ils suffisaient d'envoyer son matricule à un numéro vert et d'attendre un message contenant son verdict tranquillement chez soi.

Mon tchoronko émet une petite sonnerie, tremblante j'ouvre le message qui s'affiche, mon amie Eugénie m'annonce qu'elle a déjà reçue son message et qu'elle a été recalée.
Ce n'est pas pour aider mon coeur à se calmer.
Trois minutes plus tard je reçois un autre message que j'ouvre. L'écran de mon téléphone étant très petit, j'appuie sur le bouton de coulissage pour lire petit à petit le message qui s'affiche.

RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN
OFFICE DU BACCALAURÉAT
BACCALAURÉAT GÉNÉRAL
LYCÉE DE BOMONO GARE
TERMINALE LITTÉRAIRE ESPAGNOLE
NGONO NANDI MORGANE
18 /12/2004
MATRICULE : BGN090218
ADMISE

Je relis le dernier mot une seconde fois, puis une troisième et je me rends compte de l'issue de mon verdict. Je l'ai eu !

- J'ai eu mon bac ! J'ai eu le bac oooh ! Wouhoooouuuh !! Mama ! Mamaaaaa !
Je cours à l'intérieur et me jette dans les bras de ma mère.
- Ewoueeeeeeeeé ! Ma fille ! Félicitations !
- Eh mama ! Enfin ! Je suis libre je ne porterai plus l'uniforme ! Fini les cours de 7h à 17h ! Fini les crochets sur la tête! ( tresses africaines collées sur le crâne, c'est la coiffure réglementaire dans les écoles secondaires aux Cameroun)

- enfin ma fille ! Je te dis ! Tu es libre ! Félicitations ma chérie je suis tellement fière de toi, ton père aurait été tellement fier lui aussi, je suis sûre que de là où il est il te fait un grand sourire.
Les larmes me coulent des yeux.

- maman il me manque tellement si tu savais

- je sais ma fille, je sais, il me manque aussi énormément

Mon père a quitté notre monde il y a trois ans dans des conditions très étranges. Sa mort avait été surprenante et le choc très violent pour notre famille. Aujourd'hui encore je n'arrive pas à comprendre exactement ce qui c'était passé.

- Elle est où ? Elle est où la bachelière ?

- je suis là ! Dis-je tout sourire

Mon petit frère Kédi se faufile entre les meubles, me sautent dans les bras et me fait un gros câlin

- bravo grande sœur ! Tu l'as trop mérité ! Tu révisais chaque jour jusqu'à deux heures du matin, tu étais déchaînée ! Bravo !

- merci mon petit frère d'amour
Je lui fait pleins de bisous et il se débat pour que j'arrête de lui en faire, il réussit par sortir de mon emprise et s'en va partager la nouvelle à nos voisins.
Maman m'invite à m'assoir au salon pour discuter. J'ai attendu ce moment tout mon cursus secondaire, je suis sûre qu'elle va me demander tout ce que je veux en récompense de ma réussite.

- encore félicitations ma puce, maintenant que tu as eu ton examen dit moi ce que tu veux et dans la mesure du possible je te l'obtiendrai
- merci beaucoup maman je suis trop contente , j'attendais ce moment depuis longtemps et je sais déjà ce que je veux.

- vas-y dis moi ma chérie.

- hé bien je voudrais en premier un nouveau téléphone s'il te plaît, un smartphone plus précisément.

- d'accord et ensuite ?

- je voudrais aussi un peu d'argent pour aller fêter ma réussite avec mes amis.

- normalement chérie.

- et enfin je voudrais aller poursuivre mes études à l'Institut Universitaire du golfe de Guinée à Douala.

Son visage se décompose.

- L'IUG ? C'est à l'IUG que tu veux aller fréquenter?

- oui maman

- mais enfin Nandi ! Tu sais très bien qu'on a pas les moyens pour te payer des frais universitaires dans un institut privé, je savais que voudrais aller à Douala vu qu'il n'y a pas d'université ici à Bomono mais l'IUG c'est très très cher ma chérie.

- mais maman c'est là-bas que je veux étudier !
À l'Université de Douala il n'y a pas la filière que je veux faire.

- vraiment ? Il n'y a même pas une filière qui s'en rapproche ? Chérie je ne peux pas me permettre de te payer l'IUG, je n'en ai pas les moyens.

- mais... mais je croyais que papa nous avait laissé des économies.

- tu veux dire les deux millions trois cents
milles que ton père à laissé en partant ?
Mais ma chérie, avec quoi crois tu qu'on vie depuis plus de trois ans ? Tu ne crois quand même pas que c'est mon salaire de maîtresse d'école qui paye le loyer de cet appartement n'est-ce pas? Un appartement que ton père avait loué lui-même de son vivant en insistant aux portes de la mort, qu'on y reste au moins jusqu'au ce que tu aies ton bac ! Ou bien tu penses que c'est mon salaire qui payes vos pensions à toi et à ton frère depuis que votre père n'est plus là ? C'est grâce à cet argent qu'on a pu survivre jusqu'ici. Et aujourd'hui, il n'en reste pratiquement plus rien ! Les beignets haricots que je vends pendant les grandes vacances me permettront de te payer les frais universitaires pour l'université de Douala mais je ne peux pas faire mieux ma chérie, je suis désolée. Tu auras ton téléphone et ta sortie avec tes amis et l'université de Douala ma petite puce. C'est tout ce que je peux t'offrir.

Je me jette sur les genoux de ma mère en pleurant. Je ne pourrai pas poursuivre mes études dans la fac que je veux. C'est tellement nul ça me dégoûte ! Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Et pourquoi papa a t'il insisté pour qu'on reste dans cette maison aussi longtemps alors qu'il savait que ça nous ruinerait ? Je pleure encore plus fort et maman me tapote le dos pour me réconforter

- non non ma chérie ce n'est pas un jour pour pleurer ! Tu as eu le bac ! C'est un jour de fête ne sois pas triste s'il te plaît !
Je te jure que si j'aurai pu je t'aurais même envoyé à l'étranger faire tes études. Mais même la plus belle des femmes ne peut offrir que ce qu'elle a. Je vais te donner l'argent pour ta sortie demain. Commence déjà à contacter des amis, tu as un bac à célébrer, aller debout !

Elle m'aide à me relever et m'essuie mes larmes, me secouent dans tous les sens et me demande de sourire, ce qui me fait rire. Mais intérieurement je suis détruite, je ne veux pas faire l'université de Douala. C'est impossible, je ne serai jamais épanouie, je ferai tout ce qui est dans mon possible pour atteindre mes objectifs.
Absolument tout.

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