Conditions

La forêt

Je n'ai pas réussi à fermer l'œil de la nuit. Je n'ai pas arrêté de penser à mon entrevue de mercedi avec cette jeune femme. Me voilà maintenant avec des doutes. Et si j'allais trop loin ? Après tout, ma venue ici était censée m'aider à enterrer mon passé. Mais, vouloir en savoir plus sur l'homme que je vais épouser, n'est pas quelque chose de mal ? C'est vrai, je doute sincèrement que quiconque dans cette maison ne veuille bien m'expliquer quoique ce soit. Si je veux des réponses, c'est à moi de les trouver. Et d'ailleurs, j'y ai pensé. Avant d'aller enquêter à l'extérieur, je dois enquêter à l'intérieur. Manifestement, il avait un frère. Si sa chambre est restée dans cet état, c'est qu'il est parti brutalement, et qu'ils n'ont pas accepté son départ. Soit il est parti de lui même, soit il a été enlevé, ce qui est assez peu probable, étant donné que ce genre de choses s'apprend dans les journaux, soit il est décédé. Ma foi, s'il est décédé, Monsieur George doit avoir son avis de décès et tous les papiers qui accompagnent. Ils doivent être dans son bureau, avec la bibliothèque. Réfléchissons. Monsieur part tôt le matin et ne rêvient qu'à l'heure où le souper est servi. Madame, elle, part à 15h30 prendre le thé avec ses amies. Le ménage est fait le matin, l'après-midi, tout le monde s'active dehors, dans les cuisines ou la laverie. Le linge propre est monté vers 16h00 dans les chambres. Cela veut dire qu'après 16h, la voie sera libre. Il me faudra néanmoins avoir sur moi de quoi ouvrir un cadenas ou une serrure, il faut s'y attendre. Je vais donc me préparer. D'ici là, j'ai le temps de peindre. Je dois déjà finir mon portrait d'hier. Il me faudra bien deux heures.

Je retourne m'installer au fond du jardin. En peignant je réfléchis. Je devrai peindre sur des formats plus réduits. Je termine mon portrait, et décide de faire une pause. J'essuie mes mains sur mon torchon, et retourne dans la maison pour aller boire quelque chose. Je rentre dans la cuisine, là où Léonie épluche des légumes pour le déjeuner.
L: Louise, comment vas-tu aujourd'hui ?
- Oh, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit
L: Ah oui, et pourquoi ?
- Je ne sais pas, je réfléchis trop je pense
L: Et à quoi tu penses ?
Je m'assois à la table.
- Je ne sais pas trop, il faut dire que mon installation ici a été un peu ... hors de l'ordinaire ...
L: Ça je te le fais pas dire... Parfois, mieux vaux voir le bonheur dans son malheur
- Certes ...
L: Qu'est ce qui te tracasse ?
- *soupir* C'est Henri ...Je fais de mon mieux, mais je n'arrive pas à le cerner. Et, j'ai du mal à accepter le fait qu'on m'utilise pour venir lui redorer son image, alors qu'il se la salit lui-même. Après tout, une fois que nous serons mariés, vous croyez vraiment qu'il m'écoutera ? A ses yeux je ne serai jamais rien d'autre qu'un mariage arrangé
Elle pose son couteau un instant.
L: Louise, je sais que ce n'est pas facile. Mais vois ça comme une opportunité d'aider quelqu'un. Henri a besoin qu'on le guide. On peut dire que tu es le miracle que Dieu lui envoie.
- Mais il ne veut pas de mon aide !
L: Ça fait des années maintenant que je travaille ici. Henri est un bon garçon dans le fond.
Elle reprend son activité. Vas-y Louise, c'est le moment d'en savoir plus.
- Léonie, j'ai besoin de savoir.
L: Quoi donc ? dit-elle, sans me regarder et continuant de s'adonner à sa tâche.
- Qu'est-il arrivé au frère d'Henri ?
Elle s'arrête soudainement.
L: Qui t'as dit qu'il avait un frère ?
- Des gens de la ville
L: Tu es allée en ville ? Et tu as parlé à ces gens ?
- Je ne leur ai rien demandé, c'est venu naturellement dans la conversation
L: Louise, tu devrais éviter de vouloir déterrer le passé
- Léonie je t'en prie, je veux juste savoir
L: Je regrette, mais je ne peux rien te dire.
- Mais pourquoi ?
L: Louise, j'ai été claire
Un silence s'installe dans la pièce. Léonie retourne à ses occupations, pendant que je reste assise à ma place, le regard baissé. Pourquoi tout le monde s'est mis d'accord pour ne rien dire. Si le fils est mort, pourquoi cacher son existence totale ? Ça n'a aucun sens. Et puis les poèmes d'Henri, qui parlaient d'amour ? Je veux savoir. Et je le saurais.