Chapitre 11 : Samhain

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— Pourquoi vouloir en finir ?

La voix de Charles accéléra son éveil. Elle était dans un lit confortable et elle se sentait terriblement fatiguée. Les rayons du soleil caressaient son front, déjà bien forts et lumineux.

« Je ne voulais pas qu'on me sauve », pensa-t-elle avec amertume.

L'allure du sorcier n'avait rien à voir avec ce dont elle se souvenait. Pâle, les yeux cernés de noir et la chemise débraillée, il empestait l'alcool de bon matin.

— Et vous, pourquoi m'avez-vous sauvé ?

— Répondez à ma question et je répondrais à la vôtre.

Il posa sur elle un regard dur et froid. Elle aurait voulu plonger encore dans la torpeur d'un sommeil sans rêves, mais son esprit tournait déjà à pleine allure. Son corps, en revanche, souffrait dans chaque recoin possible.

— Vous auriez dû me laisser. Je ne voulais pas qu'on me sauve.

— Et en agissant de la sorte, vous êtes une profonde égoïste. Des centaines de sorciers comptent sur vous ici. Ça ne vous a pas même effleuré l'esprit.

— Bon sang, mais fermez-la ! Je n'ai que faire de ce que souhaitent les autres pour moi ! Rien n'a plus d'importance.

L'ambiance devint électrique. Si ses yeux pouvaient lancer des éclairs, elle aurait déjà foudroyé Charles sur place. Quoiqu'en voyant son regard furieux, il aurait certainement été plus rapide.

— La police a lancé un avis de recherche sur vous pour fugue, annonça-t-il. Ils vont fouiller les moindres recoins de Blackstone et garder à l'œil les personnes de votre entourage. Judith Godwinson et Alvar et Milbeth Van Ersherg ne peuvent pas vous accueillir.

— Je vois... Je n'ai donc nulle part où aller. Super.

Elle se massa les tempes, en proie à un mal de tête lancinant. Elle n'avait jamais eu autant de problèmes d'un coup. Encore moins à devoir les gérer seule. Si elle retournait chez elle, elle se fera interner pour de longues années, droguée pour devenir un légume. Si elle ne retournait pas chez elle, où irait-elle ?

— Vous pouvez rester au manoir, si cela vous convient, dit Charles, taciturne.

— Quoi, ici ? Avec vous ?

L'idée lui déplaisait, d'autant qu'elle ne pensait pas vraiment avoir le choix. Il resta impassible face à son aversion.

— Le manoir est situé à la sortie de Blackstone, loin des lieux que vous avez l'habitude de fréquenter. Nous serons sûrement interrogés, mon frère et moi. Mais je doute qu'ils s'attardent chez nous. Naturellement, vous ne devrez en aucun cas vous rendre en ville. Pour vous rendre au clan, vous utilisez notre portail. Le manoir est assez grand pour que vous puissiez avoir votre intimité. Du moins, le temps pour vous de trouver une solution qui vous convienne.

Sans attendre de réponse de sa part, il quitta la pièce. Elle se mit à imaginer à quoi pourrait ressembler sa vie au manoir. Voir Charles tous les jours ne l'enchantait pas. Mais si ce manoir était suffisamment grand, il y avait des chances pour qu'elle réussisse à l'éviter.

Will se rendit au clan cet après-midi-là. Sa grande capuche rabattue sur la tête, elle souhaitait trouver paix et tranquillité. Il n'y avait pas grand monde dans la forêt aujourd'hui. Dans les chuchotements qu'elle distinguait, elle comprenait qu'on parlait de sa fugue. Elle pressa le pas et pénétra dans une maisonnée proche du bureau d'Edward. L'air chaud de la grande pièce la réchauffa instantanément.

Une large et longue bibliothèque sur plusieurs étages se déployait devant elle. Un pupitre reposait au centre sur un sol de marbre clair aux veines d'or, et un tapis rouge carmin se déroulait sous ses pieds. De nombreux bureaux de bois massif, dispersés ici et là, étaient occupés par des sorciers penchés sur des morceaux de parchemins ou de volumineux livres poussiéreux. Devant ces étagères remplies d'ouvrages et de vieux grimoires à perte de vue, elle comprit qu'elle était chez les érudits.

Les sorcières de BlackstoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant