VI

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Kiera inspire l'air frais, laissant ses poumons profiter de cette fraicheur dont elle a tant été privée. Ses prunelles dansant, tentant de happer le plus de beauté possible.
La nature verdoyante des jardins du château lui était alors inconnue, s'étendant pourtant juste sous ses pieds, paysage qui lui semblait anciennement morne mais dont elle se délecte maintenant qu'elle en fait partie.

La maitresse de maison ne tardera pas à revenir, impliquant sa propre fille dans des tâches toutes plus grossières les unes que les autres, visant à humilier Kiera comme elle les a tant humiliés.
Son paternel ne manquera pas de lui réciter une énième fois un sermon longuement préparé et ce devant tous les employés, histoire de lui rappeler qu'elle n'est désormais plus qu'une moins que rien.
Sourire vicieux aux lèvres, ils lui rappelleront ensuite qu'il lui reste un moyen de regagner leurs glorieux rangs et récupérer la place qui lui revient de droit depuis sa naissance. Mains posées sur les épaules de Pablo pour bien lui faire comprendre que si elle laisse cette chance s'échapper, ce sera son jeune frère qui bénéficiera de tout ce qu'ils considèrent comme tant de privilèges.

Ce que Kiera ne leur avouera pas, cependant, c'est qu'elle souhaite en rien retourner dans sa prison dorée, observer un paysage auquel elle a désormais brièvement goûté.
Elle veut savourer cette liberté qu'elle ne connaissait pas, savourer cette fraicheur et ces parfums, savourer la vie qui s'offre désormais à elle.

Que Pablo hérite de sa couronne tordue lui importe peu. Contrairement à ce que semblent penser ses géniteurs, elle ne ressent pas la moindre jalousie ou encore rancœur à son égard.
Peut-être un léger soupçon de pitié, toutefois atténué puisqu'au fond, son frère n'est qu'un inconnu de plus dans sa vie isolée

Elle ne sait rien de lui, pas plus qu'elle ne sait quoi que ce soit la concernant elle-même.
Tous ses choix lui ont toujours été dictés, ne la laissant agir que comme une stupide marionnette sans âme ni pensées. 

Une de ses anciennes servantes dévouées s'avance à sa hauteur, un panier en osier dans les mains. Sans un regard ni même un égard pour celle qu'elle servait encore quelques jours plus tôt, elle lui jette le panier aux pieds, comme on jette la nourriture aux porcs.

— Madame veut que tu rapportes des cerises. Suffisamment pour que Gino puisse en faire de la confiture. Tu les apporteras donc à Isabel puis tu iras chercher les outils dans le cabanon pour désherber la cour d'honneur.

Kiera ne lui lance qu'un regard perdu. Elle se fiche de ce qu'elle doit faire, que ce soit exténuant ou pas, cela lui importe peu. Son problème dans l'immédiat c'est qu'elle n'a aucune connaissance de tous ces gens.
Mais ça, ce n'est qu'un choix purement volontaire de la maitresse de maison, qui ne souhaite voir chez sa fille que du malheur et pire encore, de la souffrance. 

— Bien, monsieur a-t-il des directives à me confier lui aussi ?

— Parce que tu crois être assez importante pour qu'il sache qui tu es ? crache la femme, accompagnant ses paroles glaciales d'un véritable crachat qui s'échoue à proximité des chaussures de l'ancienne bourgeoise. Reste à ta place et fais ton travail, tu as déjà bien de la chance de ne pas être à la rue comme ces filles de rien.

Kiera baisse la tête et attends que l'autre femme se soit éloignée pour attraper son petit panier et vaquer à ses tâches.
Au moins, même si ce sont des choses que les grands jugent comme plus basses que terre, elle se sent pour la première fois pleinement utile, mais pas encore pleinement vivante, et c'est bien son seul regret. 

LES AMANTS NE MEURENT JAMAISOù les histoires vivent. Découvrez maintenant