Elle fit s'arrêter sa jument à l'entrée d'un village, si Alvil pouvait porter ce nom. Ce n'était guère plus qu'une rue où s'alignaient quelques maisons qui commençaient à se couvrir de neige. La guérisseuse mit pied à terre et flatta l'encolure de sa jument avant de lui offrir une carotte. À son grand soulagement, aucun mal ne lui avait été fait. Aube avait été retrouvée au domaine des de Castel, et ramenée à l'Académie où Iseult avait pu la retrouver. Elle prit quelques secondes pour observer l'endroit où elle habiterait durant quelque temps. Peut-être un an, ou deux, peut-être même plus. Elle-même n'en avait aucune idée. Beorn, bien que réticent, lui signa son nouvel ordre de mission. Ce n'était qu'un prétexte, un papier factice, tous les deux le savaient, mais il s'agissait de son moyen de faire son deuil. La nécromancienne ne voulait plus être confrontée aux autres, à la foule, au bruit, aux fêtes ou à tout ce qui aurait pu lui rappeler Nathaniel. Ne serait-ce que se souvenir de son nom ou de son visage était une aiguille dans son cœur.
– Ma jolie, vous allez finir enseveli si vous restez là, la réprimanda une voix.
Une vieille femme sortit de sa maison, elle s'appuyait sur une canne. Iseult repoussa sa capuche pour lui sourire.
– J'observais le paysage, c'est beau.
– Bah... rien à voir avec ce à quoi vous êtes habitués vous autres à Riftha. J'me demande quand même ce qu'un beau brin de fille comme vous vient faire ici.
– Mener une vie tranquille, je suppose, répondit Iseult.
– Peuh ! Vous allez surtout mourir d'ennui.
D'un geste de la main, la femme balaya son argument. Au milieu du chemin, elle semblait insensible au froid. Ses mains étaient découvertes et elle agita celle qui était libre.
– Amaury ! Gregor ! On a besoin d'vous bande de feignants ! hurla-t-elle.
– Oh, ce n'est pas la peine de déranger qui que ce soit, protesta Iseult.
– Balivernes ! Ils ont que leurs muscles pour eux, autant les utiliser.
Plusieurs personnes ouvrirent leurs fenêtres et Iseult se fit toute petite, elle n'aimait pas sentir tous les regards peser sur elle. Deux hommes sortirent de leur maison pour se diriger vers elles, la vieille femme le menaça du regard et de sa canne, mais ils ne semblèrent guère impressionnés. Un grand roux secoua la tête, une grosse écharpe en laine entourait son cou.
– Vous êtes la guérisseuse ? demanda-t-il.
– Oui, mais je ne sais pas vraiment où je dois aller.
– On va vous montrer, on a restauré une maison pour vous, expliqua l'homme.
– Au moins, ils ont travaillé, approuva la vieille femme, Amaury est un gentil garçon vous savez, il est célibataire aussi.
Son clin d'œil grossier fit rire le dénommé Amaury.
– Tu sais bien que les guérisseuses font vœu de chasteté, vieille carne.
– C'est ridicule ! Si vous voulez mon avis.
– N'écoutez pas la vieille Ada, elle ne sait que se plaindre et critiquer. On s'habitue.
Il lui fit signe de le suivre jusqu'à une maisonnette au bout de la rue. Bien que loin du luxe qu'elle avait connu, cela lui paraissait plutôt agréable. Elle conduisit Aube par la bride jusqu'au petit abri adjacent à sa nouvelle demeure.
– Je vais lui apporter du foin et de l'eau, dit l'autre homme qui jusque là s'était montré mutique.
Iseult commença à défaire les sacs de sa selle, mais Amaury l'empêcha de continuer.
– Je vais m'en occuper, vous n'avez que ça ou vos affaires doivent arriver plus tard ?
– Je n'ai que ça, répondit la guérisseuse.
– Il va falloir vous trouver des habits chauds, sinon vous passerez pas l'hiver ma petite. Regardez comme vous êtes toute maigrelette, soupira la vieille Ada.
Une fois qu'elle eut poussé la porte, Iseult trouva l'endroit plutôt agréable, le confort était spartiate, mais cela serait suffisant pour elle. Amaury déposa ses sacs sur la table du salon et alla se pencher sur la cheminée.
– Demandez-moi si vous avez besoin de bois, je suis le bûcheron d'Alvil. Bien sûr, ça vous sera offert.
– C'est bien aimable, mais je pourrais vous payer, vous savez.
– Croyez-moi, avec mon métier vous me verrez souvent.
Les flammes commencèrent à vaciller dans l'âtre. La vieille femme profita de leur conversation pour se glisser partout et vérifier les moindres détails du lieu. Selon elle, il n'y avait pas assez de couvertures, donc, elle en apporterait ainsi qu'un châle en laine. Iseult la remercia et fit de même avec les hommes qui venaient de l'aider. Son installation fut sûrement l'une des plus rapides du village. Ses maigres affaires étaient toutes dans les sacs qui gisaient sur la table. Ada termina son inspection, elle paraissait savoir avec exactitude ce dont Iseult aurait besoin.
– Il faudra quand même que vous me disiez ce que vous avez fait de mal pour que l'on vous exile ici, marmonna-t-elle.
– C'est moi qui l'ai décidé.
– Pourquoi vous infligez ça ?
– C'est une longue histoire.
– Ah... je vois. Un homme. C'est toujours les hommes le problème, soupira la vieille femme, enfin, peut-être qu'un jour un beau prince viendra vous arracher au village.
– J'en doute, répondit Iseult avec un demi-sourire.
– Mais si, un beau prince étranger, avec un immense trésor. Moi, je l'ai loupé.
Sa vie dans cette bourgade ne serait pas aussi ennuyeuse qu'elle l'imaginait. Avec bienveillance elle raccompagna Ada à la sortie, ce qui nécessita qu'elle fasse deux pas. La maison était plus étroite que tout ce qu'elle avait connu jusque-là. Une fois seule, Iseult poussa un profond soupir. Il faisait encore froid, alors elle prit la couverture qui était posée sur son lit pour l'enrouler autour de ses épaules. Une fois qu'elle aurait rangé ses affaires et réorganisé le lieu à sa convenance, cela serait parfait.
La première étape de cette nouvelle vie fut de sortir ses affaires de chasseuse. Sa cape, son uniforme et ses armes. Elle ouvrit une grosse malle, celle-ci contenait du linge de maison, elle l'en extirpa pour y déposer les objets qu'elle préférait garder à l'abri des regards. Une fois son épieu enroulé dans du tissu, elle le glissa au fond du meuble et plaça le reste par-dessus. Ses mains se serrèrent autour d'une boîte en bois, à première vue, elle n'avait rien de spécial. Avant de la ranger, Iseult prit le temps de l'ouvrir, ses doigts caressèrent les anneaux qui s'y trouvaient. Il y avait aussi une fleur séchée qu'elle gardait de son union avec Nathaniel. Les larmes mouillèrent le tissu sur lequel reposaient les alliances, d'un geste brusque elle referma la boite pour mieux la caler au fond de la malle. Quand elle referma le couvercle, elle comprit qu'elle venait d'enterrer un pan de sa vie. Sur la malle, elle déposa le linge qu'elle en avait extirpé. Elle ne comptait pas l'ouvrir avant un long moment.
Une fois toutes ses possessions déballées, Iseult s'installa à table et déposa son matériel d'écriture devant elle. Elle rédigea une missive à Beorn, afin qu'il sache qu'elle était bien arrivée, une autre à Caeriel, pour lui assurer qu'elle allait bien et la dernière pour Laurÿane et Kyolan. Ses amis se trouvaient en mission, si bien qu'elle n'avait pas pu les informer de son départ. Elle préféra ne pas leur dire où elle était, parce qu'elle voulait préserver sa solitude. Il lui fallut une heure pour être satisfaite et terminer d'écrire. Puis son regard se posa sur la porte d'entrée, il était peu probable qu'un jour un prince vienne se perdre à Alvil et frapper à sa porte.
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L'Opale Noire
FantasyIseult, une mage guérisseuse, se destine à devenir chasseuse. L'Ordre militaire d'Ildrylane qui veille à maintenir la paix entre les créatures et les humains. Lors de sa cérémonie de confirmation, où elle s'apprête à recevoir une nouveau don, tout...